Le goût du Nord

L’entreprise Tipika récolte à la main le thé du Labrador et le vend ensuite sous forme d’infusions ou dans des savons artisanaux. Une belle façon de découvrir cette plante indigène encore peu connue et ses arômes des forêts de la Côte-Nord.

Le terroir a toujours eu beaucoup d’importance pour Andrée Hardy. À l’époque où elle dirigeait l’Office de tourisme de la Côte-Nord, de 1994 à 2000, elle parlait déjà de la nécessité de s’appuyer sur l’artisanat et les produits locaux. Son mandat terminé, elle achète d’ailleurs une boutique à Tadoussac pour promouvoir les produits du terroir. Elle y vend notamment du thé du Labrador sous une marque qu’elle crée, Tipika. «C’était la seule offre à l’époque, se rappelle Andrée. Les clients ne connaissaient pas cette plante indigène, alors on faisait goûter; aujourd’hui encore, même si les gens ont souvent déjà entendu parler du thé du Labrador.»

Ce thé, constitué de feuilles d’arbrisseau, elle le cueille au hasard de ses voyages sur la Côte-Nord. «Je fais beaucoup de route!» souligne l’entrepreneure, qui mettait aussi à profit sa famille et sa visite au début de Tipika. Depuis trois ans, elle est épaulée par trois cueilleurs rémunérés. Ses différents secteurs de cueillette vont du fjord du Saguenay à la Minganie, en passant par Manic 5. «La période de récolte varie selon les régions, car les climats changent tous les 200 kilomètres ici. Mais la saison de cueillette s’étend environ de juillet à septembre.»


Le thé du Labrador est cueilli à la main, ou parfois avec un sécateur, et «de façon respectueuse pour permettre une repousse plus abondante l’année d’après», insiste Andrée. Les cueilleurs partent pour plusieurs heures dans les collines et reviennent quand leur poche est pleine. Il faut parfois oser s’aventurer dans des endroits peu fréquentés par les promeneurs… mais arpentés par les ours. Loin d’effrayer la cueilleuse, ces animaux sont parfois des guides de montagne utiles: «Je m’apporte toujours un sifflet en cas de rencontre imprévue. Une fois, j’ai vu un ours de loin, depuis le lac où je me baignais, et quand je suis allée plus tard à son spot, j’y ai trouvé plein de raisin d’ours!»

Après un premier tri des plantes lors de la cueillette, Andrée refait une sélection dans son atelier situé chez elle, dans sa maison à la lisière des bois, à quelques kilomètres de Tadoussac. Le thé du Labrador est ensuite séché à l’air libre pendant environ 10 jours, ou 24 à 48 heures dans un séchoir spécial. «Le goût est différent selon le lieu et l’époque de la cueillette, précise Andrée. Le thé poussé au soleil aura un goût plus concentré, tandis que celui poussé à l’ombre sera plus doux.» Bref, c’est tout un terroir des bois, qui offre toutes ses nuances dans des infusions en dégradé de doré – et sans théine, comme son nom ne l’indique pas.

Un breuvage autochtone

Le thé Tipika était au début vendu dans des bocaux avec étiquettes maison, puis en 2010, l’entrepreneure se dit qu’il est temps de professionnaliser son emballage, qui devient bilingue, et de développer sa marque. Ses 50 kilos de thé du Labrador récoltés annuellement sont toujours distribués dans la boutique de Tadoussac, l’Aquilon, mais aussi dans une vingtaine de points de vente à travers la province, depuis Montréal jusqu’à Sept-Îles.

«Les Autochtones buvaient du thé du Labrador avant que les Blancs arrivent, explique Andrée. Et aujourd’hui, le Musée des Premières Nations et le Musée McCord et sa belle partie sur les Autochtones sont dans mes très bons points de vente, de même que la boutique autochtone Atikuss, à Sept-Îles.» Sur les emballages cartonnés du thé Tipika, on peut lire «Prendre le temps», qui renvoie à une des valeurs clé des cultures amérindiennes. «Prendre le thé avec quelqu’un, c’est prendre le temps…»

Au fil du temps, Tipika élargit sa gamme de produits – mais qui restent toujours naturels et de terroir. Andrée s’est, par exemple, lancée dans les savons artisanaux, à base de thé du Labrador bien sûr, puisqu’il active la production de collagène naturel de la peau. «Mes savons n’ont que trois ingrédients, tous naturels. Quand il y a dans la liste d’ingrédients des trucs qui finissent en -um ou en -ate, ce n’est plus du savon!» Elle les prépare dans sa cuisine, les fait sécher dans son atelier: une vraie production artisanale. Du côté des tisanes, elle a aussi créé l’infusion Kino, qui associe les propriétés des deux plantes. «Pas loin d’un de mes coins de cueillette poussaient des framboises et des rosiers sauvages – qui sont d’ailleurs très riches en vitamine C. J’ai donc eu l’idée de mélanger tout ça.» Curieuse, l’entrepreneure se renseigne toujours sur les vertus thérapeutiques des plantes sauvages qu’elle cueille, histoire d’associer plaisir et santé: «Le thé du Labrador a la vertu de nettoyer le foie, tandis que le raisin d’ours est un antiseptique urinaire – c’est très bon pour les pisse-minute!» rigole Andrée. Mais avant les vertus, on profite d’un goût délicat et des arômes de promenade en forêt. «Ce que j’aime surtout dans les plantes sauvages, c’est que c’est la Terre qui nous les donne. Il n’y a qu’à les cueillir, même pas à les faire pousser. Elle est généreuse, notre Terre!»

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