Visiter l’éditeur

Le métier d’éditeur, c’est d’ouvrir des fenêtres afin de permettre un regard sur le monde. Une des plus actives d’ici se trouve au Saguenay–Lac-Saint-Jean et fait rayonner des auteurs de partout du Québec.

On entre dans les bureaux de La Peuplade, rue Racine, comme on entre dans une librairie. Les livres ornent presque tout le mur d’un côté de l’espace et les bureaux de l’autre. La maison d’édition basée à Chicoutimi a façonné son environnement de travail pour qu’il devienne aussi une boutique où les échanges avec les lecteurs et les curieux sont plus que bienvenus. «L’idée de la porte ouverte, ici, c’est de faire en sorte que le métier d’éditeur, on puisse en parler, que ce ne soit plus perçu comme élitiste, indique Simon Philippe Turcot, directeur général. On veut arriver à discuter d’égal à égal avec les lecteurs jusqu’à se faire déranger dans notre travail quotidien, parce que c’est important d’aller vers les gens.»

Simon Philippe avait 25 ans et Mylène Bouchard en avait 28 lorsqu’ils ont eu envie de fonder une entreprise culturelle en 2006. Ils étaient alors à Saint-Henri-de-Taillon près d’Alma. «Créer une maison d’édition dans un contexte rural et vouloir l’imposer dans un contexte international, c’était quand même audacieux, mais on est très audacieux dans la vie! Au départ, on rentabilisait chaque livre un à la fois. On publiait un prochain livre avec les recettes du premier. On y allait tranquillement. Ça a pris sept ou huit ans à resserrer, professionnaliser les opérations, assurer des salaires. Depuis cinq ans, la maison est très forte, on a des bases solides et on voit loin.»

Grâce à son riche catalogue de romans, d’essais, de recueils de poésie d’ici et d’ailleurs, La Peuplade a réussi au fil des années à devenir une maison d’édition qui jouit d’une communauté grandissante de lecteurs assidus. «On propose une littérature de découverte contemporaine, on s’intéresse à la jeune littérature, on veut être bousculés. Y a aussi une teinte assez féministe à notre catalogue. Les lecteurs s’y retrouvent en lisant une œuvre puis une autre, ils savent quelle teinte on propose.»

Si l’équipe est encore petite – Simon Philippe partage les bureaux avec Mylène Bouchard, directrice littéraire, en plus de l’éditeur Paul Kawczak et de Stéfanie Tremblay, responsable des communications – malgré la forte progression de la maison d’édition ces dernières années, c’est que La Peuplade ne souhaite pas devenir «une usine à saucisses». «On pourrait publier beaucoup plus de livres, mais notre intention est d’accompagner chaque auteur et chaque livre et de trouver les lecteurs qui pourraient s’y intéresser, soutient Simon Philippe. On veut faire en sorte que la rencontre se produise entre l’œuvre et le lecteur. Et ça, ça prend du temps. Pour nous, lorsqu’on publie un livre, c’est là que l’histoire commence vraiment, donc on ne passe pas tout de suite au prochain.»

Lorsqu’on consulte les listes des prix littéraires les plus importants au pays, La Peuplade fait bonne figure, signe que cette mentalité est bénéfique pour le rayonnement des auteurs et de la maison d’édition. Christian Guay-Poliquin a remporté entre autres le prestigieux Prix du Gouverneur général en 2017 avec Le poids de la neige et Jean-François Caron est finaliste pour le Prix des libraires cette année avec De bois debout. Il s’agissait respectivement d’un deuxième et d’un cinquième titre chez La Peuplade pour ces auteurs. S’il y a de plus en plus de lecteurs fidèles à l’entreprise saguenéenne, les auteurs aussi restent bien accrochés au navire. «On a publié beaucoup de primoromanciers, de jeunes poètes, et ce sont des auteurs qui évoluent avec nous. Leur œuvre fleurit et on arrive à un moment donné à une maturité qui pousse les jurys de prix à les reconnaître.»

photo. Stéphanie Tremblay

La Peuplade soutient ses auteurs et en voyant loin, les bénéfices se multiplient. Qui aurait cru que l’ambition de deux jeunes Saguenéens allait les mener jusqu’à propulser des œuvres littéraires à l’étranger une dizaine d’années seulement après la création de leur entreprise? «On est en train de vendre Le poids de la neige à travers le monde. Les droits de traduction ont été cédés en Espagne, en Italie, en République tchèque, en Ukraine, en France, en Albanie, en Arménie… C’est génial de voir qu’à partir de Chicoutimi, on peut réussir à atteindre un succès international pour certaines de nos publications. L’ouverture sur le marché européen, à partir d’ici au quartier général au Saguenay, un lieu loin des grands centres urbains, c’est inusité, mais ce n’est plus impossible.»

Une autre grande et bonne nouvelle pour La Peuplade est l’exportation de ses titres: depuis le 1er mars, la maison distribue et diffuse ses livres dans la francophonie, en Europe, avec le Centre de Diffusion de l’Édition (CDE) de Paris, qui fait partie du Groupe Gallimard. «J’ai travaillé sur ce projet pendant deux ans pour arriver à ça, précise Simon Philippe. Y a des gens qui travaillent en France pour nous, mais on n’a pas de bureau physique. C’est comme si on avait deux ailes complètement différentes. Le fonctionnement change pas mal en ce moment parce qu’il faut réussir à synchroniser nos productions pour éventuellement sortir nos livres en même temps ici et en Europe. C’est un bon défi parce qu’au Canada, on travaille avec environ 200 points de vente et en Europe, c’est pratiquement 2000 librairies.»

Pour la suite des choses, La Peuplade travaille fort sur la sortie de la traduction de The Bleeds du Canadien d’origine libanaise Dimitri Nasrallah, un nouveau recueil de Charles Sagalane et un nouveau livre de Marie-Andrée Gill, entre autres. Et pour pousser encore plus loin l’idée de faire de son local un lieu de rencontre et de réflexion autour de la littérature, La Peuplade prévoit y enregistrer des balados cet automne devant public.

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