La folie des petites grandeurs

La traversée du Témiscamingue est une immersion dans un tableau grandiose, de champs vallonneux si densément fleuris et colorés qu’ils semblent avoir été peints par les Témiscamiens pour notre seul plaisir. C’est cette vaste région tout en paysages qui a inspiré la Biennale internationale d’art miniature, dans la coquette Ville-Marie.

Pour la 14e édition, en 2018, Émilie Côté a reçu pas moins de 400 petits colis provenant d’une vingtaine de pays. Chacun renferme un univers façonné par un artiste contemporain, de trois pouces par quatre pouces, qui tient dans une seule main. «Le miniature permet l’abondance. Pour monter l’exposition, mon défi est de faire une seule grande œuvre avec des centaines de petites, afin que chacune soit mise en valeur et puisse être scrutée de près.»

Scrutée à la loupe serait l’expression toute désignée. À l’entrée de la galerie du Rift, le centre culturel de Ville-Marie, on peut se munir d’une loupe pour se lancer dans l’exploration de l’infiniment petit. On se colle aux tableaux, aux sculptures; la vision périphérique disparaît, puis les œuvres nous chuchotent les secrets de leur matière. «Contrairement à ce qu’on fait habituellement dans les galeries, ici, on ne recule pas pour observer; on s’approche, le nez à quelques centimètres des œuvres. Ça permet une rencontre, une intimité entre le sujet et le visiteur, qui se retrouvent ainsi seul à seul. C’est ce qui rend cette exposition si singulière», croit Émilie Côté.

Il y a de très grandes choses dans le tout petit, «surtout quand le sujet de l’œuvre prend sa source dans la représentation miniature, précise l’organisatrice. Le défi pour l’artiste, c’est de faire davantage que de transposer une idée dans un format réduit. Il doit utiliser ce langage pour dire quelque chose d’unique. Une sculpture sur allumette, ça frappe, et ce genre de prouesse technique n’est qu’une des multiples façons de faire parler le médium».

La Biennale d’art miniature veut abolir les distances, avec les œuvres comme avec le monde. Pour Joanne Poitras, artiste et cofondatrice de la Biennale, il n’y a pas de «petite région». Aucune raison, donc, pour que le Témiscamingue ne puisse faire converger chez lui des artistes internationaux pour un événement reconnu mondialement. L’estampière a imaginé la Biennale d’art miniature avec deux intentions. «D’abord, le format réduit facilite la participation d’artistes d’un grand nombre de pays. L’événement devait aussi permettre aux artistes de la région de sortir de leur isolement, de se rencontrer, et ainsi de servir de tremplin à de nouvelles initiatives en culture», explique-t-elle.

Les artistes du Témiscamingue et de l’Abitibi sont donc nombreux à soumettre des œuvres à la Biennale, certains depuis la toute première édition en 1992. «Notre région en est une à l’échelle humaine; on se connaît bien, on veut se voir, on veut s’aider. La communauté a donc très vite pris la Biennale en main, raconte fièrement Joanne Poitras. De nombreuses activités s’organisent en parallèle, les enfants sont amenés à créer leurs œuvres miniatures, à explorer. À l’image de notre région, l’art miniature est facile d’approche, et l’événement a été pensé ainsi.»

Ce bouillonnement culturel, Émilie Côté le constate aussi tous les jours. «Plusieurs artistes d’ici, après un passage dans la vie urbaine, reviennent y installer leur atelier. Pour la qualité de vie, les grandes étendues inspirantes, mais aussi parce qu’il existe désormais un esprit de collégialité qui permet à des projets de lever, et donc à de nombreux artistes de vivre de leur travail. En ce sens, le Rift et la Biennale sont devenus des piliers de la diffusion régionale», estime Émilie Côté, elle-même artiste visuelle «rentrée chez elle» depuis quelques années.

«À la différence de la ville, qui est une construction humaine faite de nombreux paramètres, des régions comme l’Abitibi-Témiscamingue sont dominées et organisées par la nature et on doit s’adapter à elle, croit Joanne Poitras. On ne peut prendre la mesure des champs du Témiscamingue, contrôler les forêts abitibiennes. On se retrouve tout petit et on n’a pas le choix de ralentir son rapport au temps. C’est un terreau fertile pour un grand nombre d’artistes.»

La Biennale internationale d’art miniature fait sans aucun doute la fierté des Témiscabitibiens, qui ne se gênent pas pour y revenir plusieurs fois et se laisser surprendre par des détails qui n’avaient pas encore capté leur attention. «Quand les gens se promènent, ils entrent dans une sorte de communion, d’expérience très personnelle. C’est beau de les voir prendre le temps d’observer ces centaines d’ouvrages.»

L’exposition est aussi devenue un incontournable pour les visiteurs de passage au Témiscamingue. Ceux qui ont parcouru une partie du Québec pour atteindre Ville-Marie, ivres d’espaces à n’en plus finir, prennent plaisir à se laisser absorber par ces petits mondes contrastants. De retour sur la route, ils ont soudainement envie de s’arrêter pour découvrir, cette fois, chacune des fleurs qui composent la grande toile estivale du Témiscamingue, le nez dans le pollen, avec ce nouvel œil averti pour la richesse du détail.

Galerie du Rift, du 8 juin au 2 septembre

L’exposition revient chaque année paire, pour tout l’été.

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