Multiculturalisme communautaire

Au dernier pow-wow de la communauté autochtone de Lac-Simon, en Abitibi, de nouveaux habits traditionnels étaient visibles au milieu des danseurs. Parmi les couleurs éclatantes et les élégantes plumes des regalias anishinabées, on pouvait découvrir d’amples vêtements aux couleurs tout aussi éblouissantes, celles de boubous sénégalais.

Ce délicieux choc culturel, c’est l’œuvre de Félix Medawar, travailleur social dans la communauté anishinabée de Kitcisakik et créateur de vêtements artisanaux d’inspiration africaine. Installé en Abitibi depuis quelques années, il est l’instigateur de rencontres culturelles aussi riches qu’inusitées.

Africains en terre anishinabée

Sous l’écrasant soleil de juillet, des dizaines de danseurs venus de partout au Canada tournaient au centre du pow-wow au rythme des drums traditionnels de diverses nations. Légèrement en retrait du cercle de danse, on pouvait découvrir quelques kiosques d’artisanat autochtone.

Puis, il y avait ce kiosque qui détonnait, avec ses vêtements aux couleurs africaines suspendus ici et là. C’était celui de la petite entreprise One love one nation, fondée par Félix Medawar. Il était entouré d’amis sénégalais, venus de Montréal, qu’il avait invités «à venir découvrir les Premières Nations pour vivre dans un respect, dans une meilleure connaissance des réalités», explique-t-il.

One love one nation

Ce mélange des cultures, il le porte dans son ADN. Il est né il y a 25 ans dans le quartier multiethnique d’Ahuntsic, à Montréal, d’un père québécois et d’une mère aux origines égyptiennes.

C’est lors d’un périple de plusieurs mois en Amérique latine qu’il se découvre une passion pour l’artisanat en apprenant là-bas à confectionner des bracelets, des colliers et des bijoux.

À son retour, il lance sa petite entreprise One love one nation «dans le but d’unir les gens de partout dans le monde à travers l’art. J’adore les inspirations qui viennent de différentes cultures. On m’a souvent associé au caméléon qui va s’adapter à son environnement. J’ai toujours aimé l’artisanat africain avec les couleurs qui sont incroyables».

Les influences sont multiples et riches. Les produits, confectionnés à la pièce et sur commande, sont offerts dans une grande variété: vêtements, bijoux, sacs de voyage, sacoches, etc. Il crée même des produits et des sacs pour la consommation zéro déchet!

Aller vers l’autre

En voyageant en Amérique du Sud, non seulement découvre-t-il sa passion pour l’artisanat, mais il se trouve aussi une vocation dans l’action de tendre la main à l’autre. «Je me suis rendu compte que j’avais besoin de travailler avec l’humain. J’ai besoin d’avoir des rapports à l’humain. Et j’ai toujours aimé là où les humains vivent dans des conditions difficiles, être là pour les aider en quelque sorte», analyse-t-il.

C’est donc sur un coup de tête qu’il s’embarque pour Rouyn-Noranda où il part étudier en travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. À la fin de sa formation, il réalise un stage de huit mois dans la communauté de Kitcisakik, à l’extrémité nord de la Réserve faunique La Vérendrye.

Sourire anishinabé

Les Anishinabés de Kitcisakik vivent sans eau courante ni électricité puisqu’un conflit perdure avec les autorités gouvernementales sur le territoire que les habitants devraient occuper ou non. Ironiquement, le centre du village de Kitcisakik se trouve à un jet de pierre d’un barrage hydroélectrique…

«La vie est difficile en général, mais à Kitcisakik, avec l’histoire, la colonisation, les pensionnats, la stigmatisation qu’ils vivent… rien ne les aide, déplore l’intervenant. La société en général a tellement des idées négatives face à eux que c’est sûr que ça les maintient dans des difficultés, mais, en plus, ils vivent dans des conditions de vie qui sont impensables en 2019 au Canada.»

Mais M. Medawar refuse le pessimisme. «Les Anishinabés, ce sont des gens qui sont toujours en train de rire malgré les difficultés et les problèmes […]. Il y a tellement de positif, de belles choses, de résilience, de sourires et de combats… Moi, je trouve que c’est ça qui est magnifique, c’est ça qui est inspirant. La société québécoise devrait être au courant de ces belles choses aussi, elle devrait aller visiter les communautés et apprendre des autres.»

Artisanat thérapeutique

Peut-être est-ce la jeunesse, la passion ou simplement ses convictions profondes, mais plutôt que de se protéger derrière des barrières psychologiques, le travailleur social s’est impliqué émotionnellement. «Y en a qui vont être seulement intervenants et qui vont se détacher beaucoup en sortant du travail, mais on gagne beaucoup plus à s’investir, à s’impliquer dans la communauté, à entretenir des liens qui sont amicaux avec les gens, à garder nos sentiments. C’est important de ne pas être trop institutionnalisé», croit-il.


Ça a donc été tout naturel pour lui de mélanger sa passion pour la création de vêtements et de bijoux avec son travail communautaire. «Depuis un an et demi, on fait des ateliers de couture et d’artisanat de toutes sortes pour les hommes et ça pogne, c’est superbe. Ce sont des ateliers qui sont très sociaux, qui ont un impact dans la communauté parce qu’on voit les hommes qui sont fiers de porter ce qu’ils font, qui reçoivent de bons commentaires et qui en même temps peuvent en tirer des revenus.»

«L’artisanat, ça a un rôle qui est très thérapeutique, continue Félix. Ça permet aux gens de penser à autre chose, de se centrer sur le moment présent et en même temps de pouvoir partager des moments ensemble.»

Enraciné dans la région

On constate que Félix Medawar est dans un constant partage avec les gens qu’il rencontre. Autant peut-il s’investir auprès des gens de Kitcisakik qu’il tient d’eux un fort sentiment d’appartenance à la région.

«Bien que souvent on parle de racisme et de fermeture d’esprit – et c’est des chocs qu’on a –, on se rend compte que les gens ont une belle ouverture d’esprit, que Rouyn et Val-d’Or commencent à être de plus en plus culturelles sur le plan artistique, des différentes nationalités qu’elles abritent. En quelque sorte, on pourrait dire que c’est pour ça que moi je suis bien ici, mais aussi avec toutes nos implications dans la communauté, avec les Autochtones, ça nous permet de nous sentir chez nous. Et c’est ici qu’on s’est rencontrés.»

Ce clin d’œil, il le fait à sa copine, Elise Sanangome Jemes. Elle est originaire de Nouvelle-Calédonie. Ils se sont rencontrés ici, en Abitibi. Dans quelques mois, ils vont se marier. Félix garde la porte ouverte sur les plans d’avenir, «mais pour le moment, c’est ici qu’on veut vivre».

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