Un peu de foin, beaucoup de broche

C’est ça, la recette du Trèfle noir, écrite en toutes lettres sur les murs de la microbrasserie de Rouyn-Noranda: un lieu un peu broche à foin, assumé, qui laisse la convivialité faire son œuvre et façonner quelque chose de typiquement abitibien.

«En Abitibi, on aime quand les gens ne se prennent pas au sérieux. Les lieux publics sont très décomplexés. Au Trèfle, c’est la même chose. Ça crée des soirées magiques et le party pogne souvent entre les tables», raconte Mireille Bournival, copropriétaire du Trèfle noir.

L’Abitibienne et son chum Alexandre Groulx, le brasseur, sont venus s’installer en région un peu avant 2009 pour bâtir une entreprise «qui allait durer». À 25 ans, Alexandre avait déjà brassé trois ans chez McAuslan, à Montréal, et fait ses classes au Québec et à Chicago, mais il souhaitait avoir son propre terrain de jeu. La voie était complètement libre en Abitibi, et Rouyn-Noranda était mûre pour sa première microbrasserie.

«Le jour de l’ouverture, les gens attendaient dehors et quand on a ouvert les portes, ça s’est rué comme au Boxing Day. On a ouvert les robinets et on ne les a pas arrêtés de la soirée. Ça roulait tempête! raconte Mireille. Après quelques heures, on était presque découragés; on s’est dit qu’on devrait sûrement fermer dans trois jours parce qu’on n’aurait plus une goutte de bière à servir.»

Rapidement, le Trèfle noir a été investi par les gens de la région (et la bière n’a jamais manqué). Un fort sentiment d’appartenance s’est installé, car comme avec à peu près tout ce qui se passe en Abitibi-Témiscamingue, la fierté des gens réussit à soulever les initiatives. Ils deviennent naturellement les ambassadeurs des produits et des projets locaux.

«Quand on imaginait notre broue-pub, on avait en tête quelque chose de très convivial. On ne voulait surtout pas devenir un repaire d’initiés ou de gens qui ont les moyens de se payer de la bonne bière.» Leur bonne bière, ils la voulaient démocratique, martèle Mireille, et ce principe a permis de faire naître un environnement de dégustation dans lequel toutes sortes de personnes se côtoient sans jugement, à l’abitibienne. «Il y a ceux qui sortent du bureau pour un 5 à 7, à côté d’une table de bûcherons, pas loin du gars de la Fonderie Horne qui finit son shift et qui vient jaser au bar… Les gens se sentent chez eux. Tout le monde s’en fout si tu portes une tuque orange flash, une suit de ski-doo, des shorts hawaïennes ou un chapeau de paille, ou que 25 métalleux débarquent la face maquillée en noir et blanc.»

C’est ainsi qu’ils ont réussi à faire connaître et apprécier les bières de microbrasserie à une foule de personnes très différentes, quitte à forcer la main à certaines. «Quand j’ai amené notre première IPA, beaucoup de clients ne connaissaient pas encore ça et elle ne faisait pas l’unanimité. Maintenant, comme partout, c’est ce que tout le monde veut boire, explique Alexandre Groulx. À ce moment-là, moi, j’ai moins de fun à brasser et je change! Alors j’ai introduit des bières sures. On me disait: ”Elle est pu bonne, ta bière!”, ou alors: “Je sais pas trop où tu t’en vas avec ça…” Dans ce temps-là, je leur dis: “Suis-moi, tu vas comprendre!”»

C’est ce désir de faire les choses à sa manière qui caractérise le Trèfle noir. C’est pourquoi même les bières pionnières, comme la Foublonne ou encore la Hurlevent, ne sont pas garanties au tableau. Alexandre Groulx brasse ce qu’il a envie de faire ou selon les disponibilités, sans s’excuser. Tout ce qu’il promet, c’est un choix entre 12 bières qui se renouvellent constamment.

«On aime ou on n’aime pas. Certains sont frustrés de ne pas retrouver leurs habitudes, on comprend, mais ça ne fonctionne pas comme ça ici. Notre clientèle et nos partenaires se sont établis autour du fait qu’on ne fait pas les choses tant que ça ne nous tente pas! Oui, c’est broche à foin, mais ça fonctionne et la plupart des gens embarquent», assure Mireille. «Il y a juste la Trèfle noir qu’on a pas mal tout le temps, parce que je pense que si elle venait à s’absenter trop longtemps, il y aurait peut-être une émeute!», plaisante Alexandre.

Intransigeants, certes, mais très ouverts à changer d’idée, précise Mireille. «Quand on a commencé, on ne voulait surtout pas embouteiller; en 2012, on était finalement rendu là et on a ouvert la shop. Puis l’an dernier, on s’est dit que le temps était venu de ralentir un peu, d’optimiser ce qu’on avait déjà pour qu’Alex brasse moins de chiffres et s’amuse un peu plus; quelques mois plus tard, il achetait une machine pour distribuer des bières en canettes…»

Déjà vendues partout au Québec, les bières du Trèfle noir seront donc, à partir de l’été 2018, également distribuées en format canette. Quand les événements régionaux très courus, comme le Festival de musique émergente, amènent des visiteurs d’un peu partout, plusieurs connaissent d’ailleurs déjà la microbrasserie de l’avenue Principale pour avoir goûté à ses bières ailleurs.

«Les dépanneurs de Montréal me disent que les bières abitibiennes se vendent comme un produit exotique! L’Abitibi, c’est encore mythique on dirait», s’amuse Alexandre. Quand ce sont eux qui se déplacent pour la tournée des festivals de bière, avec leurs trois enfants sur la banquette arrière, ils s’affichent donc comme Abitibiens et les gens aiment ça. «Ils nous trouvent d’ailleurs très généreux dans nos portions de dégustation. Je leur réponds: “On n’a certainement pas fait 750 kilomètres en char pour être cheaps!”»

À lire aussi

Passer par ici