Nid familial

Pas toujours évident de se lancer dans la production agroalimentaire en entraînant toute une maisonnée dans une telle aventure. Bien des jeunes agriculteurs doivent jongler avec la vie de famille, un travail à temps plein qui leur permet de gagner leur vie ainsi que les travaux agricoles qui ne sont pas de tout repos. À la ferme Au froid de canard, Pierre-André et Sylvie ont bien l’intention d’y parvenir. Histoire de famille.

Il suffit de se promener dans les terres, en parcourant les rangs en contre-haut de L’Isle-Verte et Cacouna, pour se convaincre que le froid n’a aucune difficulté à se faufiler jusqu’ici. Les grandes éoliennes du 3e Rang Ouest dans le coin de Saint-Paul-de-la-Croix semblent d’ailleurs parées à affronter l’air glacial qui souffle fort.

C’est un peu plus bas, à quelques kilomètres à l’est du village de Saint-Arsène, que Pierre-André, 36 ans, et Chantale, 37 ans, ont choisi de bâtir leur nid assorti d’un élevage de canards. Une aventure qui dure depuis trois ans. Attablé dans leur cuisine en fin d’après-midi, on peut apercevoir furtivement le fleuve par la fenêtre, au bout du champ en face. Leur fils joue dans la cuisine tandis qu’un bébé de 15 mois fait la sieste. Leur fille, elle, est encore à l’école. Les parents ont une grosse journée dans le corps. Au petit matin, ils devaient se rendre à l’île d’Orléans pour emmener leurs canards à l’abattoir. C’est donc dire qu’ils ont travaillé de nuit à rassembler les volailles pour le transport. Pierre-André a fait l’aller-retour en camion. Il me montre une photo ancienne de la maison affichée sur un mur de la cuisine.

«On est restés pendant neuf ans au village, me raconte Pierre-André. Ici, c’est une maison qui a été construite autour des années 1850. Il y avait eu sept générations de la même famille. La madame est décédée, elle n’avait pas d’enfants, et dans la famille, il n’y avait personne pour la reprendre. Alors ils l’ont mise en vente.»

«Ça faisait longtemps qu’on regardait pour sortir du village, poursuit Chantale, qui connaît bien la région, étant coordonnatrice au développement rural pour la MRC de Rivière-du-Loup. On avait déjà parlé de faire du canard, mais ça restait embryonnaire. Quand la maison est tombée en vente, on y a pensé comme il faut, pas trop longtemps, pis on a fait une offre.»

À les écouter parler, on sent bien que tout dans leur nouvelle entreprise se joue autour du nid familial, à commencer par le choix même du type d’élevage et du village où ils ont choisi d’habiter. Avant de se lancer dans l’aventure, ils ont visité plusieurs éleveurs de canard afin d’en manger avec les enfants. Pour Chantale, c’était primordial: «On se disait que s’ils ne mangeaient pas de canard, ben on n’en ferait pas. Pis finalement, ils ont embarqué.» Aussi, au village de Saint-Arsène, à quatre kilomètres, on retrouve une école et plusieurs familles permettant de tisser des liens. Une solidarité précieuse pour qui choisit d’aller habiter dans les rangs.

«C’est une municipalité de jeunes familles ici. Ce n’est pas une municipalité vieillissante. Au contraire, il y a eu vraiment un boom, il y a des gens qui ont construit beaucoup. Et il y a comme un sentiment d’appartenance qui fait que les gens reviennent. C’est une municipalité qui est très agricole, alors on se retrouve avec les enfants des agriculteurs, les grands-parents. Il y a une résidence pour personnes âgées qui s’est construite, ça a rendu des maisons disponibles et d’autres jeunes familles se sont installées.»

Ce milieu de vie multigénérationnel offre non seulement un espace idéal pour tisser des liens d’amitié, mais aussi un filet social et des relations d’affaires. Des propriétaires de la fraisière à la sortie du village jusqu’à ceux qui pilotent la distillerie Fils du Roy, en passant par les nouveaux propriétaires de la cantine O St-Ars sur la rue de l’Église, plusieurs citoyens et commerçants d’une même génération deviennent non seulement des amis, mais aussi des partenaires d’affaires.

«On a commencé à se faire une table agroalimentaire, on l’appelle La table gourmande. Nos enfants sont aussi tous dans les mêmes classes, on se voit souvent. À la cantine cet été, ils ont fait de la poutine au canard, de la pizza au canard et même un burger au canard avec nos produits», racontent-ils avec le sourire.

Et l’avenir dans tout ça? Les parents de la jeune famille ne se font pas d’illusion. S’ils ne croient pas pouvoir vivre de leur ferme à court ou moyen terme, l’essentiel pour eux est de pouvoir entretenir les bâtiments de la ferme et de conserver ce patrimoine familial. Justement, même très jeunes, les enfants semblent enthousiastes à prendre part à l’aventure.

«Là, il y a notre fille qui vieillit aussi et elle est intéressée par tout ça. Elle a 12 ans. Félix-Antoine va avoir 8 ans et il est dysphasique aussi. Au niveau scolaire, c’est pas tant évident et là, il a vraiment un grand intérêt dans ce domaine-là, il est full manuel, donc on essaye par la production de l’intéresser à développer d’autres compétences. Au début, ce n’était pas tant ça, mais là on voit que c’est clair, qu’il trippe vraiment. C’est rendu au stade où il nous demande de le lever le matin. Aujourd’hui, il fallait être à l’île d’Orléans à 7 heures et il aurait bien voulu qu’on le réveille en pleine nuit pour y aller!»

La journée se termine, et sur les entrefaites, l’autobus scolaire s’arrête devant la maison. C’est justement Marianne, leur fille, qui revient de l’école. Tout en me racontant que sans l’aide de leurs enfants au jour le jour, ils n’arriveraient sans doute pas à tout faire, Pierre-André et Chantale doivent se préparer en vitesse pour se rendre à l’école de Saint-Arsène pour la soirée des parents.

On dit souvent que pour élever des enfants, ça prend tout un village. Au terme de cette conversation, plus aucun doute ne subsiste à ce sujet dans notre esprit. La petite famille m’envoie la main par les fenêtres de la voiture tandis que je demeure dans le champ en face à prendre quelques photos en me disant que curieusement, ce froid de canard est décidément bien chaleureux.

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