Du Coq à l’âne, en passant par Bury

Un jour locataires urbains, le lendemain propriétaires d’une ferme agrobiologique dans les Cantons-de-l’Est. La passion et le savoir-faire de ce jeune couple de maraîchers se goûtent dans les magnifiques choux romanesco et les courges sucrées qui garnissent leurs paniers de légumes, livrés à Montréal et Sherbrooke depuis bientôt cinq ans.

En plein mois de février, un bouquet d’épinards fraîchement sorti de la serre m’accueille à la Ferme du Coq à l’âne de Bury. «Les feuilles étaient trop petites pour être cueillies à l’automne. On couvre les plants, mais ça arrive qu’ils gèlent. Ça donne un épinard qui pousse lentement, mais qui est extraordinairement sucré», m’explique Marilyn Ouellet, copropriétaire de cette petite ferme agrobiologique du Haut-Saint-François, en Estrie.

Nichée à proximité du village de Bury dans les Cantons-de-l’Est, la Ferme du Coq à l’âne pratique l’agriculture soutenue par la communauté au sein du réseau des fermiers de famille d’Équiterre. Ses clients s’inscrivent et s’engagent à payer d’avance pour recevoir un panier de légumes certifiés biologiques, et ce, de juin à décembre.

Marilyn et son conjoint, Frédéric Verville, ont acquis cette ferme en 2015. «On a acheté la ferme avec ma sœur et le frère de Frédéric, précise Marilyn. C’était surtout leur rêve, mais j’ai embarqué. J’aime les nouveaux projets, ça ne me fait pas peur.»

Lorsqu’ils en prennent possession, la Ferme du Coq à l’âne est déjà en fonction et compte sur plus d’une centaine de clients inscrits à ses paniers de légumes. Ils ont donc tout à apprendre, mais les installations sont fonctionnelles et une base de revenus est assurée.

Originaire d’Abitibi, fils d’un médecin et d’une entrepreneure, Frédéric terminait une maîtrise en agronomie. Quant à Marilyn, après des études féministes, elle ne se destinait pas à la vie sur une ferme, mais ses valeurs écologiques et sociales l’y prédisposaient. «J’ai trouvé un emploi dans un centre de femmes, à 15 minutes de Bury. Mes journées de congé de même que mes vacances sont dédiées à la ferme.»

La première année, 2,4 hectares de terre ont été cultivés. Pour Frédéric, c’était beaucoup trop: «On s’est éparpillés, il y avait trop de superficie pour la main-d’œuvre disponible. Au mois d’août, on ne voyait plus les choux, ensevelis sous les mauvaises herbes, et les légumes étaient petits. Si c’était à refaire, j’irais travailler un an sur une ferme avant de me lancer, question de tirer profit de l’expérience d’un autre agriculteur et d’éviter bien des erreurs de débutant.»

Faute de posséder cette expérience, notre couple de jeunes entrepreneurs a su se créer un réseau. «J’ai appris le maraîchage grâce au Réseau des joyeux maraîchers écologiques, ajoute-t-il. On peut échanger avec d’autres maraîchers par courriel, et faire des recherches dans une base de données. On profite de l’expérience des autres, ça nous évite des erreurs qui pourraient être douloureuses pour notre entreprise.»


Avec d’autres fermes de leur voisinage et d’ailleurs en province, ils ont mis sur pied la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique, un regroupement leur permettant d’effectuer des achats collectifs, mais également de s’entraider en partageant leur expertise et leur temps. «On a aussi des cultures complémentaires, précise Marilyn. Frédéric déteste cultiver les poireaux, c’est trop d’ouvrage! Mais notre voisine aime ça, alors ses poireaux viennent bonifier nos paniers, et de notre côté, on comble également les besoins d’autres fermes.»

Depuis deux ans, le jeune couple est seul propriétaire de la ferme. Alors que lui s’occupe des cultures et des employées saisonnières, elle prend en charge la comptabilité, les inscriptions et les communications avec les clients. Cependant, les deux tiennent à effectuer la livraison des paniers: «Rencontrer mes clients, c’est ce qui donne du sens à mon travail et me permet de garder un équilibre, mentionne Frédéric. Les gens me font une rétroaction sur mes légumes, et moi, je peux parler de la culture, de nos bons coups ou de nos difficultés.»

Pour Marilyn aussi, les exigences du travail maraîcher sont compensées par le contact avec les clients: «Je reçois des photos d’enfants qui mangent nos betteraves et nos topinambours avec le sourire! Quand je passe des heures dans ma serre, je garde ça en tête. Et je suis convaincue que, plus tard, ces jeunes-là vont faire des choix plus écologiques et sociaux parce qu’ils auront connu les gens derrière la production», ajoute-t-elle fièrement.


En saison, Marilyn et Frédéric comptent sur deux employées à temps plein pour les épauler. De plus, leur ferme fait partie du réseau mondial Workaway et accueille des voyageurs prêts à effectuer du travail bénévole sur la ferme en échange du logement et des repas. Ils en logent jusqu’à deux ou trois par saison. «C’est comme si on voyageait, mais en restant chez nous. On découvre des cultures, des langues et toutes sortes de mets, puisqu’on cuisine en alternance.»

Avec 225 paniers livrés toutes les deux semaines, à Montréal, Sherbrooke et dans les villages voisins, Marilyn et Frédéric considèrent avoir atteint l’équilibre. Même si leur terre fait 43 hectares, le jeune couple de fermiers de 34 ans n’en cultive maintenant que 1,3 hectare. «C’est suffisant pour assurer le fonctionnement de la ferme, je ne vise pas la croissance, mais plutôt à éviter le gaspillage et avoir un peu de temps libre», précise Frédéric.

Ce souci du développement durable et du partage avec la communauté a d’ailleurs mené Marilyn à communiquer avec l’organisme Moisson Haut-Saint-François. À partir de l’été 2019, les clients de la ferme seront invités à faire un don qui servira à offrir des paniers de légumes biologiques frais pour les familles ayant recours à l’aide alimentaire.

Et pour l’avenir, ils ont de nombreux projets en tête. Dès leur arrivée, Frédéric a en effet mis en terre des arbres fruitiers, des arbres à noix et plusieurs plants de petits fruits. D’ici quelques années, bleuets, camerises et pommes s’ajouteront aux paniers de légumes de la ferme. «Une partie de notre terre pourrait également être louée à des jeunes qui désirent démarrer leur propre ferme maraîchère ou d’élevage», conclut le jeune couple, jamais à court d’idées.

Aux visiteurs attirés par la beauté des Cantons-de-l’Est, Marilyn recommande un passage par Bury au mois d’août: «Nous faisons partie de la réserve de ciel étoilé. Au bout de notre terre, on aperçoit le mont Mégantic et son observatoire. Vous passez un avant-midi à la ferme, vous croquez quelques légumes en nous aidant à récolter, ensuite, un passage à la brasserie 11 comtés à Cookshire pour une bière locale, un crochet à l’auberge La Ruée vers Gould pour vous régaler et, pour finir la soirée, observation des perséides au mont Mégantic!» Avis aux intéressés…

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