Le terroir dans l’ADN

La première Tanière a ouvert ses portes en 1977, près de Saint-Augustin-de-Desmaures. Depuis, le resto a été repris par la nièce des propriétaires et a fait des petits, devenant un groupe d’envergure comptant cinq établissements à Québec. À l’origine de cette entreprise de restauration, la famille Therrien : des terriens dans l’assiette et le coeur, car le groupe a le goût du local et un vrai attachement pour sa région.

Tout juste diplômés de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec, Laurier Therrien et Chantale Miclette ont un rêve : ouvrir un restaurant ensemble. Le couple s’installe sur le rang Saint-Ange, à une vingtaine de minutes du centre de la capitale : il cherche un lieu en lien avec ce qu’il veut faire et désire offrir un autre cadre que le Vieux-Québec, où sont implantés tous les restos à l’époque. « Ils proposaient une expédition, une expérience. Il fallait conduire 4 à 5 kilomètres à travers les champs avant d’arriver au resto. L’expérience était déjà là ! Ils sortaient les gens de leur contexte habituel », indique Karen, la nièce de Laurier.

À La Tanière, on célèbre le terroir. Laurier, pêcheur et chasseur, veut permettre à sa clientèle de goûter au gibier local. « C’était un précurseur. À l’époque, les Québécois se nourrissaient principalement de boeuf et de porc », dit Karen. Mais comme il n’y a pas d’élevage de gibier au Québec, Laurier doit faire venir du cerf de Nouvelle-Zélande ou de Virginie. Il fait donc des voyages à l’étranger pour visiter des élevages et ramener cette expertise dans la province.

 

Le restaurateur rencontre également le gouvernement et aide au développement des élevages au Québec, notamment de chevreuils et de cerfs. Laurier propose aussi du phoque à son menu. « Il s’était rendu dans le Nord-du-Québec pour rencontrer des Inuits et voir leurs méthodes de chasse, et il travaillait de concert avec eux, se souvient Karen. Les chefs d’aujourd’hui font ça et sont hyper médiatisés, mais il n’y a rien de nouveau et ils n’ont pas inventé la roue… » Karen, elle, a travaillé dans le restaurant de son oncle pendant ses études. Les clients la prenaient d’ailleurs pour sa fille – « l’histoire familiale était déjà là ! ». « En 2002, quand j’ai racheté La Tanière, le terme “terroir” apparaissait en cuisine, et aujourd’hui, c’est le mot “boréal”. C’est ce que proposait déjà Laurier à l’époque dans son restaurant : en 1977, il servait des chaudrées de poissons d’ici et de l’ail du Québec. C’était une cuisine complètement différente. Il fallait y croire pour ouvrir un resto de ce genre hors de Québec… »

Démystifier les produits locaux

Depuis, Laurier a fondé en 1987 l’entreprise de distribution de gibier d’élevage Gibier Canabec, qui a beaucoup grossi au fil des ans et a été reprise par son fils Alexandre – une histoire de famille, on vous dit. La Tanière, elle, est donc reprise par Karen et le chef Frédéric Laplante. Ils veulent innover tout en gardant le même ADN, celui d’utiliser des produits locaux. Le duo désire notamment démystifier le gibier, en le servant à longueur d’année et pas seulement en période de chasse, et avec des façons différentes de le cuisiner. « On a démystifié les champignons aussi, les fromages…, énumère Karen. Pour ça, on était parmi les premiers à s’approvisionner au Québec. Pareil pour les spiritueux. C’est fou de voir ce qui a changé en une décennie ! » Le chef a aussi ajouté des techniques plus modernes, comme le sous vide ou la macération, piochées dans les livres de Ferran Adria et qui ne dénaturent pas les produits. En 2014, le restaurant décroche les 5 diamants (CAA).

Au fil du temps, la bâtisse est modifiée à plusieurs reprises. « On a fini par atteindre nos limites pour l’espace, le parking, l’achalandage… », résume Karen. En 2015, La Tanière ferme ses portes… pour mieux rouvrir quatre ans plus tard, cette fois au coeur du Vieux-Québec, dans un local de la rue Saint-Pierre anciennement occupé par les Voûtes du Cavour. « Aujourd’hui, les gens font moins de route pour aller au resto, ils se sont aussi conscientisés sur la conduite et l’alcool, explique la restauratrice. On a donc décidé de se rapprocher du centre. » Derrière cette troisième mouture de La Tanière, six associés : à Karen et Frédéric se sont ajoutés Roxan Bourdelais et Philippe Veilleux, directeurs de la restauration, et les chefs François-Emmanuel Nicol et Sabrina Lemay – cette dernière travaille au bistro L’Orygine, du même groupe.

Art et histoire

Le chef François-Emmanuel est quant à lui passé par le restaurant Légende, également dans le groupe, d’où il avait depuis longtemps fait part de sa volonté de travailler une cuisine plus gastronomique. Dans le cadre historique des caves du Vieux-Québec, sur la plus vieille rue du Petit Champlain, le restaurant offre des plats basés sur l’histoire du lieu, expliquée aux clients à chaque service. « Ça peut retourner jusqu’aux premiers trappeurs du Québec, illustre Karen. On a fait énormément de recherches. » Ce souper immersif chargé d’histoire, autant dans les lieux que dans l’assiette, se déroule le long d’un parcours dans les voûtes qui met les cinq sens à contribution, et lors duquel les gens sont coupés du monde.

Déjà les reconnaissances abondent : le restaurant est notamment passé premier sur TripAdvisor en moins de six mois et François-Emmanuel a été nommé parmi les finalistes du concours Rising Talent – The Art of Plating. Pour travailler son menu de 15 à 20 services, le chef lit beaucoup de livres d’histoire et d’histoire de l’art pour s’inspirer. Karen, quant à elle, ne cache pas son ambition : « On veut se tailler une place nationale et internationale. » Pour La Tanière comme dans chacun des établissements du groupe, le mot d’ordre s’articule autour de trois valeurs : le respect du produit, l’authenticité et le désir d’innover. Et une nouvelle adresse s’est rapidement ajoutée à la liste : le Café Bobu, qui a ouvert sur la rue Saint-Jean à Québec et dont le groupe est gestionnaire. Le prochain projet ? Une galerie d’art en ligne, où figureront notamment les artistes exposés dans les différents restos du groupe. Une Tanière de plus en plus vaste, mais toujours résolument locale.

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