Le vigneron des tomates

C’est dans Charlevoix et avec des tomates locales que sont produits les vins Omerto, au cépage pas comme les autres. Une idée toute belge.

Du vin, mais sans raisin. Pascal Miche produit en effet ses vins avec les tomates qu’il cultive sur les cinq hectares du Domaine de la Vallée du Bras, en surplomb de la vallée du Saint-Laurent et de l’Isle-aux-Coudres. Cet immigré belge s’est installé il y a huit ans dans les coteaux du rang Saint-Antoine Nord, à Baie-Saint-Paul. «L’endroit est très inspirant. J’aime me dire que c’est pour ça que nos tomates sont si goûteuses et si savoureuses, raconte Pascal. À la maison, on nous disait que manger une tomate par jour éloignait le médecin pour toujours…»

Si certains vins Omerto sont arrivés à la SAQ il y a près de trois ans, ça fait plus d’une dizaine d’années que cet œnologue de formation, consultant en agroalimentaire et ancien charcutier, travaille sur ses vins de tomate pour parvenir à les commercialiser. Le nerf de la guerre: il a notamment fallu prouver aux autorités agroalimentaires que la tomate était bien… un fruit.

«Mes ancêtres le préparaient dans leurs caves»

Cette idée d’utiliser la tomate, c’est en fait celle d’Omer, l’arrière-grand-père de Pascal. En 1938, sa récolte de tomates est si importante qu’il décide d’utiliser le surplus pour faire de l’alcool. Il travaille ensuite sa recette jusqu’à la mise au point d’un vin à 15,5% d’alcool. «Il n’y a aucun alcool ajouté. Seules une fermentation à levure et une macération sur plusieurs mois produisent ce résultat, assure Pascal, qui garde jalousement le secret de la recette. Mes ancêtres le préparaient dans leurs caves et le dégustaient entre amis, les jours de fête…»

C’est d’ailleurs en hommage à Omer que Pascal a baptisé son entreprise. Un clin d’œil à son ancêtre inventeur, qui montre en même temps qu’il a la ferme intention de garder le silence sur la fameuse recette. Depuis Omer, quatre générations de Miche ont fabriqué ce vin en Belgique, sans pour autant le commercialiser. Jusqu’à Pascal. «Omer a commencé et moi je lui ai promis de continuer. Il a fallu 32 ans de recherche et de développement pour mettre au point l’Omerto. On devient ainsi les premiers à commercialiser un vin haut de gamme fabriqué à partir de la tomate, assure-t-il. Un tel vin est jusqu’à maintenant inexistant sur le marché mondial!»

C’est qu’il fallait avoir l’idée de remplacer le raisin par la tomate… C’est le fruit le plus consommé dans le monde, et pourquoi pas sous forme de vin? Pascal choisit des variétés spécifiquement adaptées au climat de la région, et travaille notamment avec six sortes de tomates ancestrales bios aux fruits hâtifs, résistants, sucrés – le domaine a d’ailleurs la certification Écocert Canada et ses vins sont sans sulfites. Quant à la vinification, il suit le même procédé que pour du vin de raisin, avec chaptalisation et vieillissement en fût.

Pas besoin de kilomètres de vignes: Pascal produit 9600 litres de vin avec un hectare de plantations de tomates. Aujourd’hui, Omerto met en vente 60 000 bouteilles chaque année, sous quatre produits différents: un vin sec et un vin moelleux, tous deux en vente à la SAQ, un demi-sec vieilli en barrique d’acacia pendant 24 mois ainsi qu’un moelleux vieilli en barrique de châtaignier et cerisier pendant 24 mois, offerts quant à eux au domaine ou dans ses différents points de vente, de La Malbaie à Montréal en passant par Saint-Anne-de-Beaupré.

Saveurs de pineau ou de xérès

Le Domaine de la Vallée du Bras a reçu lors de ses premières années la palme au Concours québécois en entrepreneuriat, catégorie Création d’entreprise, et une médaille de bronze dans la catégorie «Other fruit varieties» au Finger Lakes International Wine Contest pour l’Omerto moelleux. Même les chefs d’État du G7 ont eu l’occasion de goûter au vin de tomate: lors du sommet organisé dans Charlevoix en juin dernier, Justin Trudeau, Angela Merkel et leurs homologues ont en effet trinqué avec un cocktail Omerto Cobbler (vin Omerto, sirop de romarin et concombre frais).

Si la plupart des clients s’attendent à une couleur rouge ou rosée, ils découvrent des vins dorés, rappelant un blanc liquoreux. Et le goût? Plutôt étonnant: le moelleux évoque un pineau, tandis que le sec nous ferait presque penser à un xérès. Lors d’un championnat mondial des sommeliers, le spécialiste des harmonies François Chartier avait d’ailleurs proposé en dégustation à l’aveugle des produits Omerto; aucun des candidats perplexes n’avait pu identifier la tomate.

Des vins qui accompagnent relativement bien des plats de poissons ou de viandes, en plus de pouvoir être consommés en vin de dessert ou en lieu de digestif. Et c’est plus original que la traditionnelle bouteille de rouge…

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