Visite chez un maître cidriculteur

Avec ses cidres artisanaux au goût inspiré et inspirant, Jérôme Aubin contribue à l’actuel regain d’intérêt des consommateurs pour ce divin nectar.

Jérôme Aubin est un maître du cidre artisanal. Dans la petite usine de production attenante à la boutique de sa cidrerie À l’Orée du Bois, à Saint-Antoine-de-Tilly, il concocte toute une gamme de boissons à base de pommes fermentées cueillies dans son propre verger. Cidres prêts à boire aux arômes de framboises, de houblons et bientôt de bleuets, cidre chaleureux vieilli en fût de chêne, mousseux de pommes vif et sec, moût de pommes sans alcool… L’artisan de 35 ans a manifestement de la suite dans les idées, lui qui a racheté la ferme familiale en 2013. « Le cidre me permet de laisser libre cours à ma créativité. La transformation de la pomme est ce qui me stimule le plus dans mon boulot », explique-t-il.

Il lui a toutefois fallu plusieurs années pour le comprendre. Avant de reprendre les rênes de l’Orée du Bois, il a d’abord étudié en informatique et en cuisine, puis finalement suivi une formation en agronomie à l’Université Laval. Son père, Réal Aubin, se souvient des errances de la chair de sa chair. « Il a véritablement commencé à s’intéresser à l’entreprise vers la fin de sa vingtaine. Ça tombait bien : je songeais alors à m’en départir », se souvient celui pour qui l’Orée du Bois était un à-côté — jusqu’en 2005, il enseignait le dessin industriel dans la grande région de Québec, à une trentaine de minutes de route à peine.

De fait, Jérôme représente la quatrième génération des Aubin. La maison familiale, de même que la surprenante grange octogonale qu’on retrouve sur le logo de l’Orée du Bois, ont toutes deux été érigées à la fin du XIXe siècle par l’arrière-grand-père de Jérôme. L’histoire veut que ce soit les beaux yeux d’une fille du coin qui ont convaincu ce marin de s’enraciner… Ce dernier pratiquait alors une agriculture de subsistance, un modèle perpétué par le grand-père de Jérôme. En 1984, peu après avoir hérité de la ferme, Réal plante un millier de pommiers de variétés bien connues, comme la Lobo, la Cortland et la McIntosh. « Comme j’étais en vacances l’été, j’en profitais pour travailler dans le verger », précise-t-il.

Engouement pour le cidre

Le cidre fait son arrivée dans le grand récit familial à la fin des années 1990. Le paternel cherchait alors un moyen d’écouler ses surplus de pommes, celles qui ne trouvaient pas preneur lors de la période d’autocueillette automnale. Au même moment, le cidre faisait un retour progressif à l’avant-scène avec l’arrivée du cidre de glace sur les tablettes. Pas plus fou qu’un autre, Réal s’improvise cidriculteur et profite de cette manne aussi inespérée qu’imprévisible. « Plusieurs clients plus âgés me racontent que les cidres des années 1970 et 1980 n’étaient pas buvables. Ç’a donné une mauvaise réputation au produit, qui a été boudé pendant des années », déplore Jérôme.

Ce n’est heureusement plus le cas de nos jours. Alors que la vente de cidre de glace à la Société des alcools du Québec (SAQ) a diminué de moitié entre 2010 et 2016, celle des cidres artisanaux a littéralement explosé. Entre 2015 et 2016, la vente de cidres prêts à boire a bondi de 56 %. Tout indique que ces deux tendances ne sont pas près de s’essouffler, bien au contraire. « On le constate sur nos ventes : les cidres artisanaux n’ont jamais été aussi populaires. À un tel point qu’ils représentent désormais notre principale source de revenus », confie Jérôme, qui fait aussi dans l’autocueillette de bleuets et de framboises.

À l’instar de plusieurs cidriculteurs, À l’Orée du Bois bénéficie donc de l’engouement des Québécois pour les cidres nouveaux. Pour tirer son épingle du jeu dans ce marché de plus en plus compétitif — l’Association des producteurs de cidres du Québec réunit quelque 110 membres, un sommet —, Jérôme Aubin compte miser sur ce qui a fait son succès jusqu’à maintenant. « La recherche de l’équilibre entre le taux d’alcool et de sucre, les tanins et les arômes m’obsède. Je n’utilise à peu près pas d’activateurs, de clarificateurs et d’autres agents du genre. Je m’approvisionne en matières premières locales… Bref, j’ai vraiment une mentalité d’artisan, et ça va rester ainsi. » À 8000 litres de cidre par année, la production est somme toute assez modeste.

Arrêt obligé

Ne cherchez d’ailleurs pas la dizaine de produits de l’Orée des Bois à Montréal, en Abitibi ou sur la Côte-Nord : ils sont distribués exclusivement dans quelques microbrasseries et échoppes de bière de la grande région de Québec, comme Alimentation l’Impact, Le Monde des Bières et Noctem Artisans Brasseurs. Bien sûr, on peut toujours emprunter la 132 et s’arrêter à la boutique de l’Orée du Bois pour mettre la main sur des créations du moment et cueillir quelques pommes. On en profite alors pour se rincer l’œil de la grange octogonale des Aubin, l’une des rares encore debout au Québec. Sa forme particulière, dit-on, serait due au fait que le malin aime bien se cacher dans les recoins des granges rectangulaires…

photo Elias Djemil

 

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