Il était une fois une fromagère bellechassoise

Au cœur de Bellechasse, dans les contreforts des Appalaches, une agronome belge devenue fromagère québécoise fabrique à la louche une gamme de fromages de chèvre au délicieux goût floral.

Bellechasse. On y arrive par la Rive-Sud de Québec en s’enfonçant peu à peu dans les terres à l’est de Lévis. Mieux connu pour ses loisirs motorisés et ses pétaradants derbys de démolition que pour ses plaisirs gourmands, cette MRC de Chaudière-Appalaches s’affirme néanmoins peu à peu comme une destination inusitée pour les fins palais. Au fil des dernières années ont émergé sur ce territoire de mon enfance une microbrasserie (Pub de la Contrée, à Buckland), une microferme touristique avec table champêtre (Ferme du Dolmen, à Armagh), une roulotte gourmande où l’on cuisine des produits locaux (J’aime Bellechasse) et un vignoble qui ne cesse de croître (Domaine Bel-Chas, à Saint-Charles), auxquels s’ajoutent une fromagerie (Fromagerie du Terroir de Bellechasse, à Saint-Vallier) et de nombreux producteurs de petits fruits dans les beaux villages riverains de Saint-Michel et Saint-Vallier.

Chaque fois que j’y suis retourné ces derniers temps, on m’a aussi parlé d’une fromagère pugnace qui fabrique à Saint-Damien-de-Buckland un fromage de chèvre bio au goût délicat et qui a créé l’un des premiers fetas de chèvre bio québécois. Elle s’appelle Aagje Denys et elle cajole chaque fromage à la louche dans une pure tradition artisanale, pendant que son amoureux et chevrier Gary Cooper dorlote les bêtes.

Belgique, Guatemala, Bellechasse

La fromagerie fermière Cassis et Mélisse avait pourtant d’abord été imaginée comme une ferme de culture biologique de petits fruits (d’où son nom). De retour d’un long périple au Guatemala au début des années 2000, Aagje a acheté maison et terrain à Saint-Damien en caressant ce rêve d’une vie fruitière, attirée par la proximité de ce village avec la ville de Québec – qu’on atteint en 60 minutes top chrono à partir du rang de la Pointe-Lévis. «Mais il faut trois ans pour préparer la terre pour ce genre de culture, dit-elle, et ces trois années de réflexion m’ont finalement menée vers le fromage!»

Agronome de formation, cette Flamande qui a quitté sa Belgique natale il y a 20 ans ne connaissait pas grand-chose à la transformation des produits laitiers. Quelques formations auprès d’un maître-fromager et beaucoup d’huile de coude ont pourtant suffi à la transformer en quelques années en artisane du fromage, à la tête de la plus grande chèvrerie bio du Québec avec ses 80 chèvres en lactation. Elle a aussi trouvé le temps de donner naissance à 4 enfants!

Le secret d’un bon fromage de chèvre bio? «Il faut que les chèvres sortent dehors!» Autant que possible quand la température le permet, les chèvres d’Aagje et Gary broutent dans les pâturages et profitent de l’air pur. Nourries d’aliments biologiques, elles produisent ensuite un lait d’une qualité supérieure, matière première des fromages fins que fabrique Aagje au quotidien.

Sur une terre entretenue avec soin, évidemment sans utilisation de pesticides ni présence d’OGM, «les bêtes de Gary sont heureuses», nous assure la fromagère dans un éclat de rire. «Et puis le paysage est apaisant, ici. Le sud de Bellechasse n’est pas un coin de pays très connu ni très visité, mais c’est magnifique. On est dans les contreforts des Appalaches et on vit chaque saison pleinement. «Les gens de Québec n’osent pas souvent traverser le pont pour venir jusqu’à nous, mais quand ils le font, ils découvrent un petit trésor caché.»

Un territoire en mutation

Pourtant, cette région où se développe aujourd’hui un modeste circuit d’agrotourisme souffrait d’un manque de dynamisme il y a à peine 10 ans. L’exode rural, le vieillissement de la population et une certaine uniformité de l’activité économique ont peu à peu affaibli Bellechasse et menacé la vitalité de certains villages. Il semble que les choses changent peu à peu.

Mais il faut tout de même être patient. «Comme d’autres producteurs locaux, on a envie d’être une ferme de proximité et de vendre surtout nos produits aux gens de la région, explique Aagje. Mais je dois avouer que faire découvrir nos fromages aux Bellechassois n’est pas toujours facile. On sent bien qu’on a un certain rayonnement, mais la population locale n’a pas une grande habitude de consommation de fromages fins. C’est un travail à long terme de faire découvrir et aimer nos fromages à nos compatriotes.»


La clé du succès réside dans le tourisme gourmand. Le chèvre frais, l’agate, la faisselle ou le quark, fabriqués avec amour par Aagje, trouvent davantage preneurs depuis que Cassis et Mélisse permet les visites et invite les passants à déguster une planche de fromages sur place, façon pique-nique à la ferme. «Nos fromages n’ont pas un goût fermier prononcé, précise Aagje. Je suis une adepte de fromages de chèvre fins et délicats, au goût de violette et de crème fraîche. On arrive à ces parfums subtils grâce aux herbes fraîches et au foin sec mangés au quotidien par nos chèvres, en toute proximité avec la nature.»

La délicatesse de la fromagère y est aussi probablement pour quelque chose! «La constance et la précision du geste donneront une texture parfaitement lisse et une coupe franche aux différents fromages produits», explique l’artisane. Ceux qui passent par là et visitent les installations ne repartent généralement pas les mains vides. La ferme embouteille aussi son lait de chèvre bio, pasteurisé à basse température, un vrai délice au petit-déjeuner pour ceux qui choisissent l’option loft et passent la nuit à la ferme. Prochaine étape: devenir officiellement un économusée québécois de la fromagerie fermière. L’objectif devrait être accompli dès l’été 2019.

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