Amoureux du savoir-faire

Céline Desjardins et Rémy Foisy en sont persuadés : on a oublié que les ressources naturelles du Québec peuvent encore servir. En 1994, le couple a fondé Fou de vous pour tenter de redonner le goût aux savoir-faire ancestraux, comme faire de la couture sur une machine à pédale ou teindre des écheveaux de laine avec des colorants naturels.

Cela fait des années que Céline Desjardins a le coup de main. D’abord la cueillette des fleurs, des plantes et des racines. Puis la macération dans des chaudrons en fonte de 100 litres. Puis, la décoction, et, pour finir, le trempage des écheveaux de laine. Idem pour Rémy Foisy, qui, lui, s’attelle au tricotage de bas de laine, de manchettes et de jambières, sur de vieilles machines manuelles. Céline, quant à elle, tricote châles, pantoufles, tuques et mitaines.

Chez eux, pas besoin d’électricité. « Ce sont des savoir-faire qui disparaissent, mais on sent un engouement chez les gens. Ils veulent aussi de plus en plus acheter des produits écoresponsables », explique Céline, originaire de Longueuil.

Coloration naturelle

Le couple s’est installé dans un coin reculé de Lanaudière, à Saint-Damien-de-Brandon. C’est là qu’ils trouvent tout ce dont ils ont besoin pour leur production. Elle « est née dans le textile », confesse la principale intéressée. Sa mère était artisane, couturière, tricoteuse… Elle lui a tout appris. « Au fil du temps, j’ai voulu expérimenter la couleur de façon naturelle », précise cette ancienne horticultrice et professeure en arts plastiques. Amoureuse de la nature, elle sait qu’il est possible de se passer de produits issus de l’industrie chimique pour colorer la laine. Ainsi, la prêle permet d’obtenir un vert olive, les écorces de bouleau un beige rosé, la verge d’or un jaune tournesol, la racine de garance un orange cuivré, etc. « Puis on peut les mélanger. Il n’y a que le bleu, la couleur du Québec, qu’on ne trouve pas dans la nature ! », lance Céline en riant.

 

Son savoir-faire, elle a dû l’approfondir auprès d’une enseignante. « J’avais essayé par moi-même, avec des plantes du jardin, mais ça ne donnait pas grand-chose. Jusqu’au jour où j’ai trouvé Marie-Berthe Guilbault-Lanoix, qui fabriquait des ceintures fléchées avec la même laine que j’utilise. Elle-même avait appris cette technique d’une sœur de la congrégation Notre-Dame », se souvient-elle. Mais Madame Guilbault n’a pas été facile à convaincre… « À force de l’achaler, elle m’a dit OK », plaisante la teinturière. À présent, c’est cette dernière qui offre des formations.

Céline sait donc aujourd’hui que pour colorer un kilo de laine, elle a besoin d’un à deux kilos de plantes. Et elle n’hésite pas à réutiliser l’eau plusieurs fois, pour obtenir des teintes de jaunes, de rouge ou de bruns différents.

Identité pure laine

Rémy, lui, a toujours aimé bidouiller. Avec un ordinateur ou des aiguilles à tricoter. « Ma mère m’a montré une tricoteuse, un jour, mais elle n’a jamais été capable de la faire fonctionner à nouveau. Au bout de quelques mois, j’ai réussi à la faire marcher et à l’utiliser. C’est une machine qui a fait partie de notre industrie au Québec », explique-t-il.

Le couple a réussi à mettre la main sur d’autres machines du même genre et à les restaurer. « Finalement, on fait tout de A à Z, sauf la laine, qu’on achète dans une filature au Québec. D’ailleurs, il n’en reste pas beaucoup, on ne veut vraiment pas qu’elle ferme ! », poursuit-il. Et Céline d’ajouter : « La laine fait partie de l’identité québécoise. Ce n’est pas pour rien qu’on parle des Québécois “pure laine” ».

Céline colore donc cette laine, puis Rémy la transforme. Et toujours sans électricité ! Le couple fait tout à l’huile de coude, même tordre la laine, à l’aide d’un tordeur manuel. « Les générations avant nous réussissaient à travailler avec de la mécanique simple, qui dure, qui est réparable. Cela aussi fait partie de nos valeurs. On a un équipement qui a parfois 100 ans ! », dit Céline. Rémy, quant à lui, évoque son « amour du geste » et tout le devoir de transmission qui l’anime. « C’est un beau partage humain. C’est une expérience différente de celle d’aller dans un magasin plus traditionnel. Oui, on parle avec un vendeur, mais ce n’est pas lui qui a fabriqué le produit qu’on achète », commente-t-il.

L’artisan estime que c’est « très valorisant de dire qu’on commence avec une fibre et qu’au bout, on a un produit fini ». Évidemment, ça demande patience et dextérité, mais « la fierté est au bout de la ligne », dit-il. Un choix qui peut sembler difficile pour les plus urbains et les plus pressés parmi nous. « C’est sûr que c’est parfois complexe d’être artisan de nos jours, mais il faut y croire plus que les autres », lance Céline.

Pour mettre ses produits de l’avant, le couple a ouvert un atelier-boutique à Saint-Damien-de-Brandon, un village qui, disent-ils, a un certain cachet. « C’est un gros défi que celui d’attirer les gens à se déplacer jusqu’ici », confie Céline. Le couple compte d’ailleurs beaucoup sur le marché de Noël de Joliette, où il vend la quasi-totalité de sa production annuelle. Et puis, il y a un autre événement incontournable pour sa petite entreprise, qui devrait être très important cette année : les portes ouvertes du lundi de la fête du Travail, durant lesquelles les visiteurs peuvent assister à des démonstrations.

À lire aussi