Vocation: viticulteur bio

C’est sur un petit lopin de trois hectares à peine dans les Laurentides que le tout premier vignoble biologique du Québec a vu le jour en 1993. Vingt-cinq ans plus tard, le domaine du Négondos est toujours fidèle à ses valeurs et plus que jamais innovateur.

Carole Desrochers est une femme de terrain. Comme elle le dit elle-même, elle aime jouer dehors, fouler sa terre, bichonner ses ceps de vigne. Avec son mari Mario Plante, elle a troqué il y a 25 ans ses souliers d’universitaire pour des bottes d’agricultrice. Ils voulaient à la base acquérir un verger, mais l’appel du vin a été clair quand Carole a vu ce qui se faisait alors dans ce domaine. «Toute la viticulture québécoise était très chimique. Il fallait changer ça, offrir autre chose. Se lancer dans le bio pour faire sa part», dit-elle.

Armé d’audace et de bonne volonté, le couple a alors cherché, défriché, enfoncé des portes et réalisé ce qui semblait auparavant impossible. «Nous avons trouvé une terre qui nous convenait, mais nous avons eu du mal à nous faire épauler au début. Le MAPAQ ne savait pas du tout quoi faire de notre dossier! On avait l’air de vrais granos», raconte Carole.

Finalement, une agronome leur a fourni quelques connaissances sur les mauvaises herbes, un ami qui avait travaillé sur un vignoble alsacien les a un peu guidés… et pour tout le reste, il a fallu apprendre par soi-même. «Nous avons fait des voyages, des rencontres, des lectures. Nous avons aussi fait beaucoup d’essais-erreurs avant de vraiment avoir une vision plus claire de notre terroir et de l’exprimer dans nos vins. Aujourd’hui, nous savons par exemple que le cépage seyval est bien adapté à notre terre et donne de bons résultats. Mais nous sommes toujours en phase de recherche pour faire des vins rouges de qualité», avoue humblement la viticultrice.

La viticulture biologique selon Négondos

Il faut beaucoup de passion et de dévouement pour s’occuper d’un vignoble. Et il en faut encore plus lorsqu’on se lance dans la viticulture biologique. Il y a plusieurs écoles de pensée dans ce domaine, mais chaque viticulteur développe sa propre recette, basée sur ses expériences et ses valeurs. Pour Carole et Mario, travailler de manière biologique est un sacerdoce. «Il faut respecter la vigne et ne pas lui demander plus qu’elle peut nous donner d’elle-même. Il faut la voir dans un contexte plus global, plus écologique, privilégier l’équilibre de la nature avant tout.»

Cette philosophie se traduit concrètement dans une grande autonomie des vignes du Négondos. «Elles s’autopollinisent. On les soutient simplement en favorisant la biodiversité autour des parcelles, en appliquant de la bouillie bordelaise et un peu de fertilisation naturelle de temps à autre. Et on travaille beaucoup manuellement. On enlève régulièrement les mauvaises herbes, on récolte et on trie au champ par petites équipes pour ne garder que les raisins mûrs. Et l’hiver, on réalise du buttage [les pieds de vigne sont recouverts de la terre qui les borde]. Il est hors de question qu’on utilise comme d’autres du géotextile, fait à base de pétrole et très polluant, pour les protéger.»

La même approche guide les pas du couple dans la vinification: «Nous avons acquis une certaine confiance, alors nous intervenons de moins en moins pour produire des vins les plus naturels possible.» Transferts du moût par gravité, embouteillage sans sulfites, vins non filtrés, voire non débourbés… Les tests sont nombreux et les résultats, souvent concluants.

Les bons coups

Être un pionnier de la viticulture biologique au Québec ne fait pas de soi un grand viticulteur. Pour concevoir des vins de qualité qui remportent un succès, et pour garder intacte leur passion pour leur métier, Carole et Mario ont misé sur l’ouverture et la créativité. «Nous avons observé ce qui se faisait ailleurs qu’au Québec, avons écouté ce que nos amis sommeliers suggéraient. Et nous avons eu de la chance, aussi, d’être là au bon endroit, au bon moment.»

Ils ont effectivement eu la chance de goûter un soir au restaurant Les Fillettes de Montréal un vin orange italien pour avoir l’idée d’en concevoir un tout premier québécois, le Julep, que l’on s’arrache depuis pour sa facilité d’approche et son caractère fruité. Ils ont également développé deux mousseux secs, un blanc (le Noctambulles) et un rouge (le Redbulles), en méthode traditionnelle, parmi les plus populaires au Québec.

Mais la chance ne fait pas tout. De l’instinct et une bonne dose d’audace sont nécessaires pour se lancer dans de tels projets avant les autres. «Nous partons du principe que chaque année, de nouvelles idées germent. Il faut se montrer ouvert au changement, innover. Et faire confiance à ses vignes.» Carole en a d’ailleurs un bon exemple, puisqu’en 2017, elle a eu la surprise de voir que ses parcelles de maréchal Foch, qu’elle pensait retrouver à l’automne très endommagées en raison des pluies et du gel qu’elles avaient subi au printemps, se sont en fait montrées beaucoup plus résistantes que prévu. «J’étais vraiment surprise! Alors j’ai pris quelques belles boutures et les ai portées au pépiniériste. Qui sait, peut-être vont-elles permettre à ce cépage d’évoluer aussi vers le mieux dans d’autres domaines.»

Destination Négondos

Le vignoble du Négondos est devenu une destination de plus en plus prisée par les amateurs de bons vins de la métropole montréalaise et du Québec. «Mais comme nous ne voulons pas agrandir nos terres et ne pouvons produire qu’une quantité limitée de bouteilles, il n’en reste souvent plus quand les gens veulent nous rendre visite à l’automne.» Il vaut donc mieux appeler avant de passer au domaine et réserver pour pouvoir le visiter en groupe. «Si vous venez nous voir, il y a plein de choses intéressantes à faire dans le coin. J’adore les produits des Fromagiers de la Table Ronde, de la Boucannerie Belle-Rivière. Je conseille également à mes visiteurs de se balader dans les 14 jardins thématiques de la Route des Gerbes d’Angelica, où on peut aussi admirer des sculptures, ainsi qu’à Saint-Placide, un magnifique petit village face à un lac…»

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