Gatineau, ville de balado

La jeune entreprise Transistor, qui chapeaute la création de projets radiophoniques et met en valeur les balados québécois lors de son festival annuel, est un nouveau stimulateur de création et de partage en Outaouais. Récit de la genèse de l’organisme par son fondateur.

Le premier emploi dont j’ai été réellement fier, après avoir été vendeur de crème glacée à vélo, concierge et plongeur, était celui de musicien de tournée. À 19 ans, je me pinçais quand je suis parti pour une première tournée canadienne avec ma contrebasse et mon ampli bien tassés dans une vieille Ford Econoline. Ça m’a permis de découvrir toutes les routes, leurs patateries et leurs truck stops de Victoria à Moncton, loin de mon Outaouais natal.

 

Dans l’esprit nomade, voire forain, du métier tout le monde me demandait d’où je venais. Au Canada anglais, je répondais Ottawa et au Québec, je disais plutôt Gatineau. Je pourrais remplir les pages de cette publication avec les réactions négatives que suscitait mon évocation de la rive québécoise de la région de la capitale nationale. Gatineau, désert culturel. Gatineau, dortoir de fonctionnaires. Gatineau, banlieue de la ville la plus plate au Canada. Gatineau, là où on ferme les bars à 2h plutôt qu’à 3h, comme partout en province. Ça en devenait gênant. Une forte proportion des Québécois que je rencontrais à l’ouest de Montréal pensait que Hull (la ville où je suis né, pré-fusion péquiste de 2002) était en Ontario. Ma ville n’avait aucune identité culturelle.

Actif sur la scène culturelle locale au milieu de la décennie 2000, je voyais tous mes amis musiciens, auteurs, comédiens et étudiants en cinéma quitter la région pour la métropole. En pratiquant cet exode, nous contribuons tous et toutes à laisser notre région orpheline de projets culturels d’envergure. À la fin de mon baccalauréat à Montréal, il y a une dizaine d’années, j’ai décidé de revenir m’ancrer à Gatineau pour joindre mes efforts à quelques créateurs qui voulaient renverser la vapeur. Lentement mais sûrement, je me suis réapproprié cette scène à titre de musicien et chroniqueur culturel à la radio.

La plus grande manifestation du changement culturel a été le Festival de l’Outaouais émergent (FOÉ), présenté de 2008 à 2017, un modeste festival qui a permis à une tonne de musiciens, artistes visuels, dramaturges et artisans de faire entendre leurs voix. C’est dans ce cadre que mon chemin a croisé celui de Steven Boivin, un touche-à-tout du domaine de la culture et de la diffusion. Avec la mort du FOÉ, que Steven a dirigé pendant deux ans, nous étions à la recherche d’un nouvel événement pour mettre un peu de piquant dans la région.

Le calcul fut simple : additionnons nos deux champs d’expertise, soit la radio et l’organisation de festivals, et présentons un festival de radio sur les scènes du Vieux-Hull. Transistor a pris son envol en avril 2017, sous un chapiteau rempli de Gatinois venus assister à des enregistrements de La soirée est (encore) jeune !, Ça ou ça, 3 bières et Drette su’l tape.

Dans notre tête, il fallait absolument créer un festival ayant un mandat clair et distinctif. Si Rouyn a son Festival de musique émergente, le Saguenay son Festival international du court métrage et Saint-Jean- Port-Joli son festival des chants de marins, pourquoi Gatineau ne serait-elle pas la destination pour célébrer l’ascension des baladodiffusions?

Partenaires et mobilité

L’engouement suscité par la mise sur pied de notre organisme nous a surpris à notre tour ! Rapidement, de nombreux partenaires comme le Salon du livre de l’Outaouais, la Galerie UQO et Culture Outaouais ont manifesté leur intérêt à s’investir avec nous lors d’événements ponctuels et même de productions de contenu en balado. Alors que nous pensions développer Transistor à temps perdu, la gestion de l’organisme est rapidement devenue notre travail à temps plein. La création de projets radiophoniques et l’utilisation du médium pour faire de la médiation culturelle nous a permis de travailler en partenariat avec des organismes comme l’Association des auteurs et auteures de l’Outaouais, le Festival de la fibre Twist, le Centre national des Arts et le Théâtre du Trillium.

Radio mobile

Photo : Sébastien Lavallée

 

Lors de la deuxième édition du festival, Steven et moi avons lancé le projet de convertir un vieux camion de livraison en studio de radio mobile. Le « Transistruck » est né grâce à une campagne de sociofinancement et l’arrivée de Marie-Hélène Frenette-Assad, une réalisatrice et animatrice de balados qui allait devenir directrice générale du festival Transistor. Dès le printemps 2018, nous avons eu la chance de faire des talk-shows ludiques et microrégionaux, des documentaires sur le patrimoine culturel de l’Outaouais, des tables rondes sur le tricot et des cabarets de performances littéraires.

Grâce à la mobilité du Transistruck et à la magie de l’internet, nos activités ont commencé à dépasser les frontières de l’Outaouais. Les appels sont venus de Val-d’Or, Rimouski, Montréal et la Gaspésie pour aller créer du contenu dans des événements musicaux et cinématographiques. Des créateurs de contenus et des artisans de la radio de partout au Québec ont commencé à nous contacter pour développer des projets de balados, et les appuis financiers se sont multipliés de la part de la Ville de Gatineau et du Conseil des arts et des lettres du Québec.

Le plus beau défi de cette folle aventure qui ne cesse de prendre de l’expansion est de trouver des collaborateurs nous permettant de créer des projets qui emploient des réalisateurs, techniciens, monteurs, scénaristes, auteurs, chroniqueurs, animateurs, concepteurs sonores et musiciens qui résident en Outaouais. Il n’y a pas d’École nationale de la baladodiffusion ou de concentration « balado » dans les programmes de baccalauréat en communication. Pour développer des projets avec des artistes issus de toutes les formes de création en Outaouais et peut-être même attirer des artisans de la radio dans notre région, notre philosophie restera la même : faire découvrir Gatineau aux gens du milieu du balado et faire découvrir le balado aux gens de Gatineau.

Transistor a produit Le nom de mère et Synthèses : le cas Valérie Leblanc, à écouter sur transistor.media

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