Avoir soif en Outaouais

Meilleure femme sommelière du monde, Véronique Rivest accumule les titres et les récompenses dans le domaine. Après s’être retirée des compétitions, elle a choisi Gatineau pour ouvrir son bar à vin, un incontournable dans la région.

On peut aujourd’hui lire les chroniques de Véronique Rivest dans plusieurs médias et l’entendre régulièrement à la radio et à la télé. Aux côtés de François Chartier ou d’Élyse Lambert, elle a contribué à donner au Québec une belle place au niveau mondial dans l’univers de la sommellerie. Son palmarès ferait pâlir le plus carmin des crus: Meilleur Sommelier du Canada en 2006 et en 2012, Femme du Vin 2007 à Paris, Meilleur Sommelier des Amériques en 2012, première femme de l’histoire à atteindre le podium avec sa deuxième place au Concours du Meilleur Sommelier du Monde en 2013…

«Je voyageais beaucoup, et chaque fois que j’arrivais dans une nouvelle ville, je googlais “bar à vin”, raconte Véronique. Quand on est dans le milieu du vin, on joue toujours avec l’idée d’avoir sa place à soi un jour. L’idée a mijoté une dizaine d’années dans ma tête, mais avant j’étais trop prise par les concours de sommellerie. Ça demande beaucoup d’investissement, c’est comme les Olympiques! J’aurais jamais pu faire les deux ensemble…» La sommelière vise le podium, mais elle n’a pas l’obsession d’arriver première à tout prix. En 2013, l’objectif est atteint, et elle passe donc à autre chose.

Pour celle qui a commencé dans la restauration à 16 ans et y est restée toute sa vie, ouvrir un bar à vin était une suite naturelle. Elle se lance donc en 2014 en ouvrant Soif à Gatineau. On lui dit alors: «Pourquoi Gatineau? Il ne s’y passe jamais rien…» Véronique ne se démonte pas: «C’est tant que vous continuerez à penser comme ça qu’il ne se passera jamais rien.» L’Outaouais, c’est chez elle, et à part sept ans passés en Alsace, elle y a toujours habité. «J’avais envie de m’y poser après avoir beaucoup voyagé. À mes débuts, personne à part ici ne me connaissait. Mes seuls soutiens étaient ici. C’était donc le moment de rendre un peu à la région ce qu’elle m’a donné.»

D’autant qu’avant Soif, «il n’y avait pas de vrais bars à vins à Gatineau ni à Ottawa», indique la sommelière. Elle choisit pour son établissement un coin de la ville qu’elle adore, «Hull la dull», même si c’est moins passant; mais depuis, d’autres restaurants ont ouvert dans le quartier. «Je voulais créer un lieu de rassemblement, une espèce de plaque tournante…» Quatre ans plus tard, Soif est devenu un arrêt obligatoire pour les fanas de vin – et les autres aussi. À la cave, près de 200 bouteilles attendent le client. «Au Québec, on n’a rien à envier à New York ou Londres! On peut mettre la main sur presque tous les vins ici.»

Apprendre et transmettre

La carte se concentre notamment sur le bio et la biodynamie. «Ce qui m’allume, c’est les vins de terroir. Ceux qui ont la gueule du terroir qui les a vus naître. Les vins issus d’une terre vivante, décrit Véronique. Mais je veux avant tout un vin qui est bon.» Son but: faire sortir les clients de leur zone de confort. La sommelière tient beaucoup au volet éducation de son bar, dans lequel sont régulièrement donnés des cours sur le vin et des ateliers de dégustation. «Je me dois d’être super inclusive. Et tant mieux, car ça fait partie de ma vision.» Soif ratisse large dans sa clientèle, aussi bien en âge qu’en connaissances en vin.

La job première d’un sommelier, c’est d’apprendre et de transmettre, répète Véronique, qui fait beaucoup de coaching avec des jeunes désireux de se lancer dans la compétition. Tous ses serveurs ont une formation en sommellerie – «même en cuisine, c’est tous des trippeux de vin!» «Ce qui m’allume le plus, c’est apprendre. Ici, on est toujours en mode formation. Mes serveurs sont à la fois à l’école et au travail! Et j’adore quand quelqu’un demande à être dans la section de tel ou tel serveur, sans demander à me voir moi.» Les plats ne sont pas en reste pour autant: «Vin et cuisine vont ensemble. Ça nous prend de la bouffe pour que les gens boivent plus! rigole Véronique. Ici, c’est la cuisine au service du vin.»

Bref, le bilan est plutôt positif, avec notamment beaucoup de clients qui viennent de l’extérieur. «Y a une dame du Yukon qui allait à Toronto et qui a prévu un arrêt ici pour nous voir. Ça fait chaud au cœur», se souvient la sommelière. Elle tempère pourtant; ça reste la restauration et ce n’est pas toujours facile, même si elle savait dans quoi elle s’embarquait. Ne serait-ce qu’avec les barrières gouvernementales en matière d’alcool au Canada… «Sans mon nom et ma notoriété, je sais pas comment j’aurais fait pour aller chercher du soutien et des investisseurs.»

L’Outaouais, la nature omniprésente

En attendant, Gatineau est bien marqué au feutre rouge sur la carte des curieux du vin et des touristes de passage. Si Véronique a su mettre sa région en avant, elle a également montré qu’on peut arriver très haut dans le milieu en étant une femme – ce qui n’est pas encore une vérité évidente pour tout le monde. «Quand j’étais conseillère en vin à la SAQ, quelques clients (surtout des hommes d’un certain âge) préféraient être conseillés par un gars qui n’y connaissait rien plutôt que par une fille qui s’y connaissait», se souvient-elle.

Mais plus tard, en avançant dans la sommellerie, elle n’a plus connu de discrimination ou de machisme. «Ayant évolué au Québec, ça ne m’a pas frappée. Mais ça dépend dans quel pays on est…» Si aujourd’hui la moitié des étudiants en sommellerie dans la province sont des femmes, reste qu’en compétition internationale, Véronique voit toujours très peu de représentation féminine – le maximum s’élevait à 7 femmes sur 60 candidats. La compétition, s’y verrait-elle y retourner? «Je n’ai pas encore fait de croix officielle dessus, répond la sommelière. Mais plus ça va et moins ça me semble évident.» Quant à ouvrir un autre établissement, elle reste un peu évasive, mais évoque des projets dans la région. «Je veux m’assurer qu’à Soif, tout est bien rodé avant de passer à autre chose.»

Aujourd’hui, si elle voyage encore un peu, Véronique essaie de ne jamais partir plus de deux semaines à la fois. Elle est si contente de profiter de son coin de pays: «J’habite dans le bois, au bord d’un lac. En Outaouais, la nature est omniprésente, c’est pour ça que j’y suis revenue. En face de mon bureau, il y a un ruisseau et un parc… Y a jamais à rouler plus de 10 minutes pour être dans la nature.» Elle énumère tout ce qu’on peut faire en habitant Gatineau, du ski au canot, en passant par le patin sur le canal Rideau. Le réseau cyclable est de plus en plus développé, et la ville compte aussi de superbes galeries d’art et musées. Côté gastronomie, l’offre est aussi de plus en plus grande – la sommelière cite notamment Edgar et son chef extraordinaire. «Il y a plein de choses à faire, aussi bien en culture qu’en nature. C’est une belle escapade de sérénité…»

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