Tomber dans les pommes

De père en fils, les Choinière cultivent le domaine familial qui s’étend entre Dunham et Frelighsburg. On y fait des fruits, certes, mais aussi des cochons et des cidres. Rencontre sous les pommiers…

Les vergers s’étendent à perte de vue. Arrivé chez Choinière, on prend une voiturette pour faire le tour du domaine. Au loin, on peut apercevoir la frontière américaine. Le premier qui est tombé dans les pommes, c’est le père, Yves Choinière: à 26 ans, il achète avec sa femme Diane son premier verger, à Dunham. «Il a fait ça sur un coup de folie, il n’avait aucune expérience», raconte Gabriel, son fils cadet. À l’époque, son père est pilote d’avion et il est arrivé dans le coin pour un poste de chef instructeur à l’aéroport de Bromont. Mais sa reconversion dans les pommes marche bien; il suit les deux carrières en parallèle pendant un temps avant de se consacrer uniquement à ses fruits.

Deux ans plus tard, le couple achète un autre verger voisin, situé dans le petit village de Frelighsburg, pour cultiver ses fruits qu’il vend ensuite comme pommes de consommation ou de transformation. Les deux vergers couvrent une vingtaine d’hectares et produisent entre 1500 et 1800 boîtes par an (la boîte, unité de mesure, c’est 350 kilos de fruits). Le domaine Choinière, c’est une histoire de famille. Le fils aîné, Philippe, et sa conjointe viennent plus tard y planter des herbes pour leur compagnie de soins corporels biologiques, Oneka. Ils cultivent des plantes qu’ils utilisent ensuite dans leurs produits, et les jolies platebandes bien entretenues viennent ajouter de la couleur dans la verdure avec leurs fleurs étiquetées de noms latins.

Des cidres nature

Gabriel, le deuxième fils, se lance quant à lui dans un petit élevage de cochons alors qu’il est au secondaire: «C’était mon projet à moi. J’avais 13 bêtes, et je faisais de la vente de cochons entiers». Il met en pause son élevage pendant le cégep, puis pendant son bac en relations internationales. Comme tout jeune diplômé qui se respecte, il prend ensuite son sac à dos et part voyager, notamment en Australie où il fait des vendanges. «Là, j’ai eu le coup de foudre pour le vin», se souvient l’agriculteur. De retour au Québec, il suit une technique en production végétale à l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe, puis travaille avec son père quelques années. Gabriel s’intéresse à la production d’alcool, il a des fruits à disposition… l’équation se fait rapidement: il va lancer une cidrerie.

Au début, le cidre, c’était pas sa tasse de thé: «Ce que j’avais goûté me donnait pas envie de boire du cidre tous les jours… Moi, j’aime beaucoup les produits secs.» Et c’est ce qu’il fait. Des cidres nature, sans intrants, que ce soit des sulfites ou des sucres ajoutés. «Du pur jus», comme dit le jeune agriculteur. Si les cidres nature ne couraient pas les rues auparavant, on en voit émerger plus ces derniers temps. «C’était pas la norme avant, mais on dirait un peu que tout le monde se lance cet été!», rigole Gabriel. Il fait quelques cuvées-tests, avant de lancer officiellement la Cidrerie Choinière en août 2019. Sur le domaine familial, bien évidemment. «Mon frère y a des parts et son expérience en affaires aide beaucoup, mais la cidrerie, c’est mon projet», explique Gabriel. Il est aussi épaulé par sa compagne, microbiologiste, qui apporte son expertise ainsi que sa rigueur scientifique. Et puis, il y a Christian Barthomeuf, du Clos Saragnat voisin, le «mentor de fermentation et le coach» de Gabriel.

Transition vers le bio

L’agriculteur a utilisé 2% seulement des pommes du domaine pour produire ses 5900 bouteilles de cidre. «Et je veux doubler le volume cette année», annonce-t-il d’emblée. À la cidrerie, on trouve trois produits: Armandie, un pet nat avec une belle bulle et de la complexité, «qui garde le côté fermier»; Boston Post, un cidre plat avec un petit perlant, qui évoque un peu un vin blanc; et Potato Hill, un cidre sur lie dont l’effervescence se rapproche plus d’un cidre traditionnel. Gabriel s’est aussi amusé à produire une microcuvée, Horizon, en macération pelliculaire avec des pommettes. S’il n’en a produit que 100 bouteilles cette année, son objectif est d’en faire une de ses principales cuvées à l’avenir. La cidrerie est déjà représentée par une agence qui distribue ses produits dans plusieurs points de vente au Québec. «Au début, mon père était pas trop sûr pour la cidrerie. Mais maintenant, il est enthousiaste et confiant!», indique Gabriel.

À 28 ans, il a presque l’âge qu’avait Yves quand il a acheté son premier verger. Une pomme qui n’est pas tombée loin de l’arbre, puisque le fils continue toujours de travailler avec son père dans le verger – et envisage d’ailleurs de reprendre l’affaire plus tard. Et puis, il y a l’élevage de cochons, qu’il a relancé à son retour et qui compte dorénavant plus de 70 bêtes. «Je passe 50% de mon temps à m’occuper des pommes, 50% des cochons et 50% du cidre! C’est ça, le quotidien d’un agriculteur», résume Gabriel à la blague. «Mais faire du cidre à temps plein, c’est mon scénario idéal pour le futur…» Entre ses pommiers, son élevage et sa cidrerie, le domaine Choinière ne chôme pas. Si la cidrerie est fermée au public, elle a accueilli en octobre la Fête des récoltes sur ses vastes terres, avec un programme mêlant bouffe et conférences sur l’agriculture régénératrice. Car l’autre objectif de Gabriel, c’est de rendre ses vergers bios. Ça avance doucement, tandis qu’il insère des herbicides bios dans les pratiques établies par son père… «Les nouveaux projets, maintenant, c’est à moi de les mener.»

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