« Ç’a toujours été un running gag, chez nous, l’agneau surmonté d’une branche de romarin », plaisante Myriam Langlois. Cette ancienne pharmacienne, auparavant citadine, a accepté en 2016 d’embarquer dans la folle aventure fermière de son mari qui rêvait d’un retour à la campagne et d’élever des agneaux à une seule condition : qu’elle exploite son savoir-faire culinaire acquis dans une ancienne vie.
« J’étais fatiguée de ne voir dans les rayons que les mêmes coupes d’agneau, et souvent mal faites. Je voulais amener quelque chose de nouveau, rendre honneur à cet animal, du museau à la queue. Donc, ne pas me limiter aux éternels carrés, gigots et saucisses, mais valoriser toutes les parties de l’agneau et développer les multiples combinaisons gastronomiques que l’on peut faire avec cette viande. »
Croissance raisonnée
Évidemment, comme le veut l’expression « Rome ne s’est pas faite en un jour », le projet de la Bêlerie, qui a débuté en 2017 sur une terre agricole près de Cowansville, s’est construit étape par étape. La première a consisté à bâtir une ferme, puis à constituer un cheptel. « Au début, raconte Myriam, nous ne vendions en moyenne que cinq agneaux lourds par semaine. Et j’ai vu mon chum travailler jour et nuit, parfois sans dormir. On ne regrette rien, mais on ne s’imagine pas le travail que ça représente avant de le faire soi-même. »
L’insomnie et les efforts du couple ont néanmoins porté leurs fruits puisqu’aujourd’hui, il est à la tête d’un troupeau de 750 brebis et d’une quinzaine de béliers. Les éleveurs vendent également plus de 300 agneaux par semaine, qu’ils débitent et transforment à même leur ferme dans de nouvelles installations appelées à s’agrandir avec une boutique donnant directement sur la salle de transformation. « Nous n’avons rien à cacher aux visiteurs, bien au contraire ! s’exclame Myriam. Nous voulons que les gens nous voient travailler, leur montrer que nous prenons un soin impeccable de notre troupeau, du début à la fin du processus. »
Effectivement, les animaux de la Bêlerie ont de belles conditions de vie. Ils évoluent librement dans leur enclos, profitent des champs du printemps à l’automne et ne prennent ni hormones ni antibiotiques. Les brebis ne sont pas non plus séparées de leur progéniture, une pratique assez courante dans le milieu de l’élevage. Mieux encore, Myriam et Jamie ont été parmi les premiers à intégrer de la drêche humide — un sous-produit de l’orge issu du brassage de la bière — dans l’alimentation des agneaux, afin d’améliorer naturellement le persillage et le goût de leur viande. Et comme cette pratique est à la fois nouvelle et prometteuse, ils ont du même coup lancé un mouvement pour obtenir une appellation réservée, « agneau brassicole du Québec », au même titre que l’agneau de Charlevoix ou le fromage de vache de race canadienne. « Pourquoi l’agneau brassicole ne deviendrait-il pas un nouvel emblème du Québec, après tout ? Il est de très grande qualité et pourrait tout à fait concurrencer celui de Nouvelle-Zélande… ou être carrément proposé à sa place ! », plaisante la fermière qui n’a pas peur d’afficher ses ambitions.
De l’agneau à toutes les sauces
Dans l’attente de cet élan international, la Bêlerie concentre ses activités sur le Québec, avec une présence croissante sur le marché, tant dans les boucheries que les épiceries. Elle offre des coupes primaires (le gigot ou l’épaule entière) que les magasins peuvent vendre telles quelles ou transformer pour leur rayon de prêt-à-manger. La ferme propose aussi des coupes fines (des jarrets, des côtelettes, des carrés, des cubes, des steaks ou de la viande hachée) dans des barquettes operculées recyclables.
Mais ce n’est pas tout. La Bêlerie a aussi lancé en exclusivité avec IGA une gamme de produits qui connaît un bel engouement auprès des consommateurs. « Nous offrons déjà des merguez, des saucisses à la bière et à l’érable, des keftas aux herbes fraîches, du pâté de viande, de l’agneau confit, des souvlakis marinés ainsi que deux produits sous vide précuits plus de 13 h, à réchauffer, à savoir du gigot au citron confit et de l’épaule à la grecque », explique Myriam.
On se surprend de tant de déclinaisons d’une viande comme l’agneau. Mais selon la fermière, elle se prête à toutes les occasions et à toutes les cuisines. « On ignore souvent tout ce qu’il est possible de faire avec cette viande. Par exemple, l’épaule d’agneau peut être braisée, confite ou transformée en effiloché, délicieux dans des tacos. On peut également intégrer de l’agneau dans des charcuteries, des won-ton, des sauces de toutes sortes. Il n’y a aucune limite à la créativité. »
D’ailleurs, la tête de l’entrepreneure fourmille déjà d’idées pour la suite de sa gamme de prêts-à-manger, qui devrait s’enrichir d’ici la fin de l’année de sauces et de ragoûts dans des bocaux de verre et de plats comme un gigot d’agneau à l’érable et aux figues, un ragoût de pattes d’agneau au gigot confit, un cassoulet au confit d’agneau et même de la dinde farcie à l’agneau. Et avec l’accueil enthousiaste que réservent les consommateurs à l’ensemble des coupes et des produits de La Bêlerie — qui a vu ses ventes croître régulièrement, voire doubler aux fêtes et à Pâques — la viande d’agneau est manifestement promise à un bel avenir au Québec… et ailleurs, pourquoi pas ?