De mystérieux chants en héritage

Dans L’appel d’un chant inuit, qui sera diffusé le 11 mars sur Unis TV, la réalisatrice Marie-Pascale Dubé nous embarque dans sa quête identitaire à la rencontre de la culture inuite, sur les traces d’une histoire individuelle et collective.

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Au départ, il y a une histoire familiale, avec ses flous, ses doutes et ses incongruités. Marie-Pascale Dubé a la peau mate et les cheveux très noirs. Depuis l’enfance, des sons gutturaux s’élèvent du fond de sa gorge quand elle chante. Des sons qui la fascinent et qui s’apparentent mystérieusement aux chants de gorge des Inuits. Ces aptitudes vocales singulières interrogent d’autant plus la jeune femme que sa généalogie contient des incertitudes.

Ça fait des années que sa grand-mère maternelle s’interroge sur l’identité de son père biologique. Du côté de son grand-père, d’étranges non-dits entourent une lointaine aïeule au faciès bien différent des Européens. « Ces questionnements identitaires m’habitent depuis longtemps, confie la réalisatrice. Je sentais qu’il y avait des manques et j’avais l’intuition que les sons que je produisais étaient porteurs de réponses. »

C’est cette intuition qui devient le moteur de L’appel d’un chant inuit et de sa version longue, Rouge Gorge, présentée à la fin du mois dernier aux Rendez-vous du Cinéma Québécois. Un premier long métrage qui a nécessité sept années de travail, au cours desquelles la réalisatrice en quête d’elle-même est essentiellement partie à la rencontre des autres.

Du chant à la rencontre

Avec le temps, les chants de gorge ont pris de plus en plus d’importance dans la vie de Marie-Pascale. Étudiante en cinéma à Paris, loin de son Québec natal, elle réalise combien cette pratique l’apaise. « Il y a quelque chose de l’ordre de la guérison dans ce chant, explique-t-elle. Ça me calme de m’abandonner dans ces sons et ces rythmes organiques. Je dors mieux, je suis moins angoissée. »


En 2012, elle se décide à explorer plus profondément ce précieux don. Elle entre alors en contact avec des membres de la communauté inuite d’Ottawa, et notamment avec Charlotte Qamaniq, une artiste chanteuse de gorge qui va la guider tout au long de ses rencontres avec les Inuits. Marie-Pascale comprend que sa démarche, aussi sincère soit-elle, lui impose une certaine responsabilité.

Avant de se rendre dans le Grand Nord dans la famille de Charlotte à Igloulik (Nunavut), point d’orgue du documentaire, la réalisatrice se passionne pendant plusieurs années pour la culture et l’histoire inuite. Elle suit des cours, lit, échange et travaille comme bénévole au centre communautaire inuit d’Ottawa. C’est ce cheminement et cette immersion que raconte une partie du film.

« La rencontre est l’essence même de ce documentaire, souligne Marie-Pascale. D’abord il y a ces sons qui m’amènent à un chant. Puis ce chant m’amène aux Inuits, à leur culture et à Charlotte, qui m’amène ensuite à Igloulik. Enfin, Igloulik me pousse à repenser mon histoire intime et l’histoire de mon pays et de son territoire. »

C’est notamment à cette circulation fluide entre l’histoire personnelle et l’histoire collective que tient la réussite du documentaire. La quête identitaire de Marie-Pascale transcende l’intime et invite à réfléchir sans moralisme ni pathos aux blessures de la colonisation et à leurs répercussions actuelles. Et c’est toujours le chant qui permet d’ouvrir ces portes sur le passé et sur le présent.

Une expérience sensorielle

L’appel d’un chant inuit n’est pas un documentaire scientifique sur les chants de gorge. La jeune réalisatrice a choisi d’évacuer de son film tous les avis d’experts et les discours de spécialistes. « Il était hors de question bien sûr de prendre la parole à la place des autochtones, ni même de prétendre la leur donner, insiste Marie-Pascale. Quand Charlotte se met à raconter l’histoire de ses ancêtres et de la colonisation à la fin de notre séjour à Igloulik, ce n’est pas une discussion provoquée, ça se fait naturellement. C’est un film guidé par le son, pas une leçon. »

L’expérience sensorielle est ainsi au cœur du documentaire, qui fait la part belle aux séquences de chants et aux silences. Dans une des scènes les plus réussies, Charlotte apprend à Marie-Pascale le chant du moustique à la lueur encore glaciale des premiers rayons de soleil de l’année à Igloulik. « Quand on chante, les masques tombent, on communique d’âme à âme, raconte Marie-Pascale. La rencontre est la grammaire du chant et il me semblait que ces séquences chantées servaient mieux le propos du documentaire que de longs discours. »

Tout au long du film, face à face en se tenant par les coudes, Marie-Pascale et Charlotte s’abandonnent dans leurs harmonies gutturales jusqu’à l’essoufflement ou l’explosion de rires. Ce sont ces moments de complicité qui, d’une certaine façon, valident la démarche personnelle et artistique de la réalisatrice, et qui tout au long de son parcours lui permettent de se faire accepter par les Inuits qu’elle côtoie.

Dépasser la quête identitaire

Ce chant qui impressionne, amuse et intrigue depuis longtemps les proches de Marie-Pascale est aussi l’occasion pour la réalisatrice de revisiter l’histoire de sa famille. Des rencontres avec ses grands-parents, sa mère et ses oncles ponctuent le film dans le but de fouiller les flous généalogiques et de sonder les cœurs sur la possibilité d’une ascendance autochtone. Si bien des interrogations demeurent à la fin du film, l’essentiel n’est pas là pour Marie-Pascale.

« Toute cette expérience et ces années de travail m’ont fait réaliser que mon identité est une affaire d’additions, pas de soustractions, raconte la réalisatrice. Ça m’a fait du bien de remplacer les « ou » par des « et » et d’accepter qu’il y a des choses que je n’expliquerai pas. Finalement, avec ce film, ma quête a pris une dimension plus spirituelle qu’identitaire. » Au-delà de son histoire, la réalisatrice espère que son film provoquera d’autres rencontres et nourrira le dialogue entre autochtones et allochtones au Canada.

L’appel d’un chant inuit

Diffusion le lundi 11 mars à 21 h sur Unis TV et en rattrapage dès le lendemain sur unis.ca

Unis TV propose des émissions tournées aux quatre coins du pays qui présentent les lieux et les gens de chez nous. La chaîne est incluse dans le forfait télé de base de tous les télédistributeurs.