Jouer à la radio

Francis Murphy, Geneviève Béland et Paul-Antoine Martel s’attaquent à la paresse intellectuelle dans leur émission de radio Quand pensez-vous ?, où se côtoient réflexions et rigolade. Rencontre avec trois amis qui refont le monde à la radio, pour le plaisir, à leur façon.  

À Val-d’Or, tout le monde les connaît. Vous me direz, c’est pas grand, Val-d’Or. Déjà, à l’époque de l’école secondaire, Francis et Geneviève étaient de grands chums. Francis était le leader coloré et fort en gueule qui donnait à chacun le goût d’être son ami. On se doutait bien, nous, peuple adolescent de l’ombre, qu’il allait faire de grandes choses, Francis Murphy. Geneviève, quant à elle, était déjà une fille impliquée et discrète, mais qui n’hésitait pas à prendre la parole pour défendre sa pensée avec grâce et ferveur. Un petit volcan tranquille, dont on attend de loin l’éruption. Paul-Antoine est arrivé un peu plus tard dans l’équation. L’homme, qui a l’énergie d’un barrage hydroélectrique, pourrait convaincre un palmier que l’Abitibi est la meilleure place où pousser sur la planète. Un jour, il m’a dit : « C’est beau, l’Abitibi. Tu peux tout faire. Tout est à faire. » Ils l’ont fait. Ils le font chaque jour.

Faire à sa tête

Francis a de la suite dans les idées. La radio, c’était un vieux rêve à réaliser. Il a fait une AEC en radio avant de passer un été à animer une émission dans une radio communautaire de Lac-Simon. Une vie professionnelle différente s’est toutefois proposée à lui. Impliqué en politique, il devient, en 2005, le plus jeune conseiller municipal élu à la Ville de Val-d’Or, poste qu’il quitte huit ans plus tard pour se consacrer à sa jeune famille. Aujourd’hui directeur général adjoint de Loisir et Sport Abitibi-Témiscamingue, il poursuit des études de maîtrise aux HEC. Le jeune homme, il en a de l’expérience derrière la cravate (à motifs rigolos, probablement).

Mais l’envie de faire de la radio ne l’a jamais vraiment quitté. « J’ai découvert sur le tard le format balado, avec La soirée est (encore) jeune. J’ai trouvé que c’était un format vraiment intéressant, qui permet de faire absolument ce qu’on veut. »

« Faire ce qu’on veut » étant le mot d’ordre ici.

L’affaire, c’est que Francis Murphy aime ça, faire les choses à sa façon. Le baladodiffusion lui permettrait de diffuser sa propre émission, sans devoir se restreindre à une ligne éditoriale imposée par un réseau ou un diffuseur. Il décide de réunir ses camarades et de leur lancer l’idée d’une émission drôle, où ils aborderaient des sujets sérieux. « Instinctivement, Geneviève et Paul-Antoine sont les deux personnes avec qui je me voyais faire ça. Je savais qu’ensemble, on aurait notre petite symbiose. »

Créer l’événement

Geneviève Béland travaille dans la culture à plein temps. En plus d’être membre fondatrice du FRIMAT (Festival de la relève indépendante musicale en Abitibi-Témiscamingue) avec Francis Murphy, elle a également cofondé PapaChat & Filles, un organisme culturel qui gère un lieu de diffusion, en plus d’être nouvellement présidente du Conseil de la culture de l’Abitibi-Témiscamingue. Gros mandat. Elle est bien placée pour savoir que faire sortir le monde, ce n’est pas toujours facile. Et pourtant.

Enregistré devant public au bar Le Prospecteur, le balado attire les foules. « Les billets se vendent toujours dans le temps de le dire, raconte Francis. Au premier épisode, ils se sont vendus en une semaine. La suivante, en 48 heures, puis 24, et après ça une heure, puis trois minutes… », Impressionnant, non ? « Ça vient combler quelque chose qui ne l’était pas avant, précise Geneviève. Ces gens-là ont envie d’être divertis, mais aussi nourris. »

Des oreilles pour écouter, un public pour vivre

Et les gens embarquent ! Quand pensez-vous ? peut se vanter d’être écoutée d’Amqui à Dublin (!), avec un total d’environ 20 000 écoutes. Si ces statistiques flattent les trois amis et s’ils souhaitent augmenter ce chiffre, ils restent avant tout amoureux de leur public en salle.

« Même si on avait 20 000 écoutes par jour, je suis pas sûr qu’on le ferait s’il n’y avait personne dans la salle. À l’inverse, s’il y avait juste du monde dans la salle et pas d’écoutes, on le ferait sûrement pareil, parce que c’est là que l’expérience est excitante », relate Francis.

« Pendant qu’on enregistre, on pense à donner un show, complète Paul-Antoine Martel. Je pense que ceux qui viennent, ils ne sont pas juste accessoires. Ils vivent un moment particulier. »

Surnommé « WikiPéha », l’homme agit à titre d’agent de liaison et de relations avec les milieux à la Ville de Val-d’Or. Passionné d’histoire et conteur hors pair, il s’illustre tant comme improvisateur que comme vulgarisateur. Sa participation au balado permet, selon lui, de proposer certaines réflexions aux auditeurs. « On aime avoir un sourire en coin et on aime lâcher une blague une fois de temps en temps pour alléger l’atmosphère, mais on aime aussi regarder notre société, confie-t-il. C’est l’occasion d’une prise de parole. Avec Quand pensez-vous ?, on traite de sujets sérieux légèrement et on traite aussi de sujets légers sérieusement. »

Geneviève renchérit : « P-A peut faire rire les gens en leur lisant une résolution de conseil de ville. Il peut faire rire les gens en leur parlant de conflit au Moyen-Orient. »

Voilà qui donne le ton.

Le territoire intérieur

Quand pensez-vous ? est une émission régionale, certes, mais pas du tout régionaliste. Loin d’eux l’idée de cracher sur la grande ville ou de vanter les mérites de la vie au nord du parc de La Vérendrye. « Je pense qu’une partie de notre succès vient du fait que les gens aiment entendre des voix différentes, explique Geneviève Béland. On n’est pas là pour faire la promotion de la région. Le territoire fait partie de nous. On n’a pas de complexes. On ne le vit pas de même. On ne se compare pas à ce qui se fait à Montréal, par exemple. »

Grâce aux revenus des billets et à leurs multiples commanditaires, Quand pensez-vous ? peut se targuer d’attirer des invités non Abitibiens de qualité. Catherine Dorion, Les Denis Drolet et Fred Savard peuvent se retrouver dans la même émission que des vedettes locales comme Derrick Frenette, Robin L’Houmeau ou Saratoga. Si la question régionale n’est pas un enjeu, il reste que la joyeuse bande trace un sentier qui lui est unique, de chez eux, et sans compromis.

Invité à un enregistrement au début 2020, David Goudreault a lancé, tout bonnement : « Moi j’y crois, à l’identité, et au local, pour aller atteindre de plus en plus large. Et d’ailleurs, je crois même au régional. Ce que vous faites, c’est super important. On oublie parfois que Montréal, c’est juste une des régions du Québec. »

Geneviève Béland, dans une petite éruption de son volcan tranquille a rétorqué, sourire en coin « Nous, on l’oublie pas ! »

Pour écouter les émissions : quandpensezvous.com

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