L’ascension par le houblon

Après un peu plus d’un an d’existence, force est de constater que la Brasserie du Bas-Canada s’est imposée comme un incontournable brassicole québécois. Son équipe travaille maintenant d’arrache-pied pour répondre à la demande qui a pris tout le monde par surprise, incluant ses fondateurs.

Gabriel Girard Bernier et Marc-André Cordeiro Lima ont longtemps refait le monde lors de longues conversations où ils déploraient le manque d’endroits attrayants dans leur région, pourtant si près d’Ottawa, et d’éclosion de microbrasseries. Alors qu’ils brassent chez eux depuis un bon moment, les deux amis décident d’utiliser leur insatisfaction comme moteur et élaborent un projet pour Gatineau. Presque deux ans plus tard, le 17 novembre 2017, la Brasserie du Bas-Canada ouvre ses portes et ses fûts au public.

À sa création, les deux fondateurs y vont de prévisions très conservatrices sur la demande: les entreprises brassicoles éclosent un peu partout au Québec, et même s’ils savent qu’ils répondront à un besoin – l’Outaouais est la région, avec le Nord-du-Québec, où on compte le moins de microbrasseries par habitant –, ils sont loin d’entrevoir la teneur du succès qui les attend. Une campagne de sociofinancement leur permet néanmoins d’amasser 18 000$. «Ça nous a permis de gagner à l’avance de bons clients», estime le brasseur Gabriel Girard Bernier en entrevue. «C’était une bonne façon de faire connaître notre projet et de vérifier l’intérêt des gens de Gatineau.»

L’amertume populaire

Dès le mois de janvier 2018, soit deux mois après son ouverture, l’entreprise sort deux des produits qui contribueront à la propulser à l’avant de la scène brassicole: Los Tabarnacos, une milkshake IPA aux saveurs de mangue, et la no 2 de la série HYPA, qui tire son nom de la contraction des mots hype et IPA (India Pale Ale). La demande explose, «au point où on manquait de bières pour emporter sur place et où les détaillants, à un certain point, vendaient carrément nos produits en une journée», se remémore Gabriel.

«On était conscients que c’est un marché qui bouge vraiment rapidement et qu’on avait avantage à être flexibles pour bien prendre notre place». Cette attitude les a bien servis: du catalogue de bières à brasser et à expérimenter qu’ils avaient élaboré, les fondateurs ont dû repousser certaines créations et revoir la proportion des brassins. Soixante-dix pour cent de leur production est ainsi présentement consacrée aux IPA.

«C’est sûr qu’on peut pas satisfaire à la demande pour tous nos produits du jour au lendemain», expose Gabriel, réaliste. Ce qui ne veut pas dire que les propriétaires n’ont pas déployé toute leur ingéniosité pour optimiser au maximum leurs installations gatinoises. «On produit au rythme de 135 000 à 140 000 litres par année. Pour l’espace qu’on a ici, c’est vraiment beaucoup.» La proximité de collègues ottaviens leur a fait entrevoir une piste de solution plutôt inusitée au Québec: l’encanettage mobile. Ce service leur permet ainsi d’abolir leur ligne d’encanettage et de dégager de l’espace pour loger davantage de fermenteurs. «Ça nous a permis d’augmenter le volume de production, parce qu’on est capables d’encanetter vraiment plus rapidement.»

Gestion de la demande… et des déceptions

Avec un enthousiasme fulgurant envers sa production et une capacité de brassage limitée vient forcément un approvisionnement insuffisant. Gabriel et Marc-André doivent donc répartir au mieux leurs bières entre le salon de dégustation, la boutique attenante, les détaillants et les bars qui tiennent leurs produits. «On essaie de faire comprendre aux gens de venir le plus vite possible quand on annonce les produits pour éviter les déceptions.»

Juger une bière à sa canette

L’image de marque soignée de la Brasserie du Bas-Canada contribue certainement à distinguer ses bières parmi l’abondance de choix sur les tablettes des dépanneurs spécialisés. «Ça a toujours été notre motto, de vouloir faire la meilleure bière dans le plus beau des contenants, soutient Gabriel. C’est quelque chose sur quoi on a beaucoup travaillé et insisté.» L’équipe peut compter sur l’aide du graphiste gatinois Alexandre Mercier pour créer des visuels foisonnants et colorés pour chacune de ses créations brassicoles.

Vision à long terme

Le milieu brassicole en est un de nouveautés, et les attentes envers l’entreprise gatinoise sont élevées. Gabriel et Marc-André s’attellent donc à développer d’autres bières – et pas seulement les IPA qui les ont rendus populaires. La pilsner tchèque L’Aspiration, brassée au profit de Leucan Outaouais, devrait apparaître plus régulièrement sur les lignes de fût, ce qui concorde avec leur désir de développer davantage de bières de soif de type lager. À l’opposé du spectre des saveurs, la Guerre et Paix, parue en février, incarne la première d’une série de stouts impériaux. Les deux types de bière constituent un défi à produire, mais l’entreprise tient à développer une offre diversifiée. «Ça a toujours été notre philosophie de ne pas lésiner sur la qualité et la quantité des ingrédients pour arriver à nos objectifs.»

Fierté outaouaise

L’engouement pour la brasserie se fait sentir au niveau local, avec un noyau dur de clients gatinois fréquentant assidûment le pub, et rayonne au-delà des frontières de la région. En effet, chaque fin de semaine, des curieux affluent de Montréal, Québec, d’un peu partout en Ontario et même du sud de la frontière pour déguster des produits brassés sur place ou ramener des canettes à la maison, ce qui contribue à accroître son rayonnement.

En tissant des liens avec des acteurs culturels de la région, comme le festival de radio numérique Transistor, pour qui ils brasseront la bière officielle pour la deuxième année consécutive, ou encore grâce à leur partenariat avec le restaurant Les Vilains Garçons, qui assure le volet nourriture au pub en plus d’être actionnaire, les entrepreneurs souhaitent contribuer à créer une effervescence autour de l’Outaouais. «Si on peut contribuer ne serait-ce qu’un petit peu à développer une fierté régionale… c’est sûr que ça a toujours été dans l’âme du projet.» Le brasseur espère que les microbrasseries se multiplieront dans la région afin de créer un circuit brassicole incontournable. D’ici là, la Brasserie du Bas-Canada planifie son expansion.

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