Tout a commencé en 2012, quand la municipalité de Blue Sea — qui borde le lac du même nom et compte 640 résidents permanents et 2000 villégiateurs — a fait l’achat de l’ancien presbytère du village pour le transformer en un lieu culturel et touristique. Au même moment, Sylvie Grégoire prenait sa retraite de la commission scolaire où, toute sa vie, elle avait enseigné les arts plastiques. Elle avait souvent cherché des lieux où exposer les œuvres de ses élèves et les siennes ; un lieu d’échange et de création. Elle allait maintenant tracer les grandes lignes d’un tel endroit, à côté de chez elle.
Ayant été nourrie par des projets d’économie sociale et d’éducation, Sylvie propose à la municipalité de lancer un projet de galerie d’art. Elle leur dit : « Ne comptez pas sur moi pour faire des sous ; mais pour un projet culturel, je suis là à 100 % ! » Grâce à une subvention et avec l’aide de précieux collaborateurs, Sylvie passe l’année suivante à mettre l’organisme sur pied. Mais les gens du village ont des réserves : « C’est nos taxes qui paient » ; « la culture, ce n’est pas important ». Qu’importe, des passionnés qui ont la culture à cœur se joignent au projet. L’équipe jouit d’une série d’occasions parfaites. À plusieurs reprises durant notre entretien, Sylvie mentionne et honore de nombreux collaborateurs, des bénévoles, pour leurs compétences respectives. « Le maire de Blue Sea a sablé des planchers du Presbytère, avant son ouverture », confie-t-elle. Elle encense aussi des femmes, belles et fortes, avec qui elle a eu la chance d’œuvrer.
Pour l’art d’abord
Le Presbytère est d’abord fréquenté pour son Wifi : en effet, en 2012, certains villégiateurs n’ont toujours pas accès à l’Internet. Puis, touristes et résidents se mettent à visiter la galerie d’art. Une clientèle anglophone fait son apparition. Les voyageurs, les gens qui font du vélo sur la piste cyclable découvrent par hasard le Presbytère, un lieu d’ouverture d’esprit et d’éducation. Sylvie insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une galerie commerciale. « Les artistes exposent ici, mais ils ne veulent pas nécessairement vendre leurs créations. On encourage ça. On veut d’abord être un lieu de référence. »
Le Presbytère accroît par la suite sa programmation, en organisant des événements récurrents. Les ouvertures de saison de la galerie sont jumelées à un échange de semences ; les artistes s’impliquent dans le festival d’été du village, Blue Sea en fête ; il y a une soirée des membres en août, pour remercier les adhérents de leur contribution ; la foire artisanale met en lumière des créations locales et diversifiées ; enfin, les Journées de la culture sont chaque année l’occasion de présenter le travail de nouveaux artistes. S’ajoutent à cela de nombreux événements ponctuels, allant de soirées musicales à des repas à contribution volontaire en passant par des ateliers sur les plantes indigènes. Au Presbytère, il y a une volonté d’encourager la création, de la mettre en valeur et de la partager. C’est un lieu de nourriture spirituelle et d’échanges, à tous les niveaux.
L’arrivée de la relève
Sylvie a toujours aimé l’enseignement des arts et la compagnie des jeunes. Elle parle de leur créativité avec admiration et émerveillement. L’intérêt de nouveaux créateurs pour le Presbytère de Blue Sea est ainsi pour elle le plus beau des cadeaux. De jeunes artistes multidisciplinaires se sont liés au Presbytère, dans les dernières années. « Ils nous éduquent au niveau numérique, et il y a eu un gros boost sur notre page Facebook », se réjouit Sylvie.
Marie-Claude Bonin-Joly est l’une des jeunes artistes actuellement en vue au Presbytère. Peintre, chef et sommelière, elle s’y est de plus en plus impliquée, au fil du temps. On l’appelle « Marie-Papilles ».
À son retour en région, après ses études et quelques voyages, elle a commencé à prendre part aux activités du Presbytère. La cuisine n’y était pas encore exploitée et Marie-Papilles y a vu une occasion en or de développer ses forces. Cela a commencé avec des pâtisseries, le dimanche. Tout le monde était invité à venir prendre un thé et un morceau de gâteau, en échange d’une contribution volontaire. Elle a ensuite joint le conseil d’administration pour s’impliquer davantage et s’occuper de la cuisine, notamment pour régaler les invités lors des vernissages.
Au Presbytère, qui a son propre jardin, on a toujours privilégié une alimentation végé et biologique. Marie-Papilles aime sortir les gens de leur zone de confort et les amener ailleurs, par le biais des saveurs. « Et ce n’est pas pour bouder la viande », ironise celle qui célèbre les produits locaux comme le bœuf de la ferme Brown et les légumes de la ferme Caya. Elle se livre à une certaine forme d’éducation, en faisant la promotion d’une l’alimentation locale, fraîche et saine.
Marie-Papilles peignait chez Sylvie Grégoire, quand elle était petite. « Elle ne disait pas un mot ; elle créait et comprenait déjà le monde de l’art abstrait. Ça m’a beaucoup surprise. » Une de ses œuvres a d’ailleurs été acquise par la galerie du Presbytère.
L’établissement est devenu un lieu d’art et d’éducation, où toute forme d’expression est la bienvenue, ce qui est précisément la formule proposée par Sylvie Grégoire, il y a huit ans. Les gens qui aiment créer sont heureux d’y avoir trouvé un nid. C’est un repère culturel, mais également un lieu de rassemblement de toutes les cultures et de toutes les générations. « Il y a une fierté collective, dit Sylvie. Le maire est fier de ce lieu, et il y a de quoi l’être. À un moment donné, c’est important la pêche, c’est important la chasse, mais la culture est importante aussi. On comprend que la création de Dieu, c’est la nature ; mais la création des humains, c’est la culture ».