Elle est la seule en Outaouais. Et malgré son jeune âge – deux ans –, elle vise déjà le monde entier: la distillerie Artist in Residence, installée à Gatineau, met en vente du gin et de la vodka aux ingrédients 100% locaux, mais dont le goût traversera bientôt les frontières. Du moins, c’est ce qu’espère son fondateur, Pierre Mantha, 50 ans. Un «typical redneck» de Gatineau, comme il se présente. Un «ti-gars» qui a longtemps mis la main dans le cambouis, alors qu’il était mécanicien de camions lourds.
C’est sa rencontre avec sa femme, une Colombienne aux goûts de luxe, qui le transforme. Elle est fancy et chic, lui a un gros truck, une casquette, des jeans et un accent fort prononcé.
Avec elle, il part en Colombie et y rencontre un ami qui lui parle beaucoup d’alcool. «“T’as le look de boisson”, il me disait, alors que je ne bois pas!», se souvient Pierre. Le Colombien lui dit aussi que le Québec détient une énorme quantité d’eau douce, l’ingrédient principal pour faire de l’alcool.
Rapidement, Pierre, en pleine réflexion sur son avenir, fait le rapprochement: dans son Québec natal, il a ce terrain, sous lequel gît une source d’eau douce. Alors pourquoi ne pas se lancer dans la production de spiritueux? Il commence alors à se renseigner sur la distillation en voyageant notamment aux États-Unis: Californie, Miami, New York ou encore Chicago. «Je voyais qu’ils faisaient de l’alcool avec de l’eau de la ville! C’est n’importe quoi», lance-t-il, en expliquant que souvent, les eaux de la ville sont chlorées et donc pas assez pures pour faire un bon gin ou une bonne vodka. Lui veut faire ça bien.
Lorsqu’il ouvre sa distillerie de 15 000 pieds carrés – bientôt 20 000 –, qu’il décrit comme une «distillerie artisanale pour les rebelles, les free spirits», il décide que pour chaque création il accueillera un artiste en résidence. Et pour mettre en avant son produit, il lui faut un beau magasin. «Un magasin “Chanel”, noir et blanc, glamour, moderne. Quelque chose qui fait international. Et pas de cachette. Chez nous, il y a des grandes vitres, on peut tout voir», indique-t-il. Il installe également des équipements de filtration de dernier cri – «un système Ferrari».
Sous ses pieds, la source d’eau pure, et juste derrière, à quelques kilomètres à peine du bâtiment, les champs de maïs d’une ferme familiale: les deux ingrédients essentiels à la réalisation du gin. Pierre s’entoure aussi des meilleurs artisans en distillerie; lui n’est que le patron, le porte-parole de la marque. «Je suis le plus nono de l’équipe, dit-il en riant. Eux connaissent bien mieux que moi les techniques.» Il revendique une approche artisanale, puisque la distillerie produit des spiritueux du grain à la bouteille, mais dans un bâtiment ultramoderne, parce que «je veux que ça ait l’air mainstream», précise le propriétaire. Mais derrière ce discours, Pierre assure ne pas attacher une importance particulière à l’argent: «Je peux manger juste des sandwichs, je n’ai pas besoin de beaux chars. Je veux juste faire quelque chose qui compte et m’amuser. Mon kicker, c’est bâtir quelque chose.»
Ses premières bouteilles sont sorties de la distillerie en juillet. L’une est une vodka légère qui compte 50 calories par once, soit «25% de moins qu’une vodka régulière», et qui représente «la célébration et la lumière». Derrière sa conception, il y a une collaboration, celle de la distillerie et d’un maître artificier. «Je voulais quelque chose que les gens peuvent boire sans avoir mal à la tête, quelque chose de smooth», explique Pierre. Lui la boit avec du jus de canneberges.
Quant au gin, baptisé Waxwing, il est estampillé d’un beau jaseur boréal. Si Pierre a choisi cet oiseau en particulier, ce n’est pas sans raison: le jaseur boréal raffole des baies de genévrier, l’un des ingrédients phares du gin. Sa robe orangée est issue de la macération des baies d’églantier et de végétaux. En bouche, il dévoile des notes de coriandre, de réglisse, de baies de sorbier et, évidemment, de genévrier.
Le symbole de la distillerie: la montgolfière. Elle rappelle les ambitions XXL de Pierre: des spiritueux qui un jour voyageront sur toute la planète; pour lui, c’est plus précisément la Colombie et toute l’Amérique du Sud, puis l’Asie et enfin l’Europe. Pour autant, le fondateur ne renie pas ses origines, il se dit même fier que la mention «Québec» figure sur ses bouteilles. «Je serai encore plus fier lorsqu’on sera numéro 1 au Québec», ajoute-t-il. Sans perdre le nord, il termine: «Puis numéro 1 au Canada». Pour Pierre, «sky is the limit».