Blottie contre les montagnes, à l’embranchement des rivières Saint-Jean et Saguenay, à L’Anse-Saint-Jean, se trouve une jolie maison ancestrale. Construite autour de 1860 pour la très riche famille Price, la propriété, qui servait de camp de pêche, occupe un vaste terrain donnant sur la rivière. Le patriarche, William Price, ayant fait fortune avec son entreprise de foresterie, avait acquis des droits exclusifs de pêche (une pratique alors courante à laquelle avaient recours les gens prospères de l’époque pour se réserver les plus beaux lieux du territoire) et y recevait parents, amis et clients prestigieux pour y taquiner essentiellement le saumon. La famille perpétua l’apanage de l’activité jusqu’à ce que le gouvernement procède au “déclubage” de nos cours d’eau en 1977.
Finalement, le camp de pêche a été mis en vente et reconverti en restaurant. Aujourd’hui, c’est une coopérative qui gère le bistro. Il est beau de voir se déployer la volonté d’une communauté autour de ce qui a été, pendant plus d’un siècle, le symbole du privilège de la bourgeoisie.
Se réapproprier les lieux
« Au départ, on voulait faire une coopérative parce que ça représentait nos valeurs, parce qu’une coopérative n’a pas un objectif de profit de prime abord. Ç’a un objectif de développement social, un objectif de développement durable, explique Philôme La France. C’est d’ailleurs inscrit dans nos statuts et règlements. Ça nous représentait bien et, par la suite, ça nous a permis de faire une mobilisation sociale autour de nos projets économiques. On a vraiment une démarche qui se veut participative, une mobilisation populaire pour réaliser nos projets de transformation de notre économie locale. »
Né dans la région, Philôme La France, maire de la municipalité voisine de Petit-Saguenay depuis 2017 et président des Ateliers coopératifs du Fjord, n’a de cesse de souligner la fierté avec laquelle les habitants des environs participent aux projets du village (les chiffres de 300 membres actifs sur 1000 adhérents à la coopérative parlent d’eux-mêmes).
« Le Bistro de l’Anse, la microbrasserie La Chasse-Pinte, l’ensemble de ce qu’a la coopérative appartient à la communauté, donc aux gens qui en sont membres, précise Philôme La France. On a un objectif de pérennité donc ce n’est aucunement dans les pratiques et les intentions de notre coopérative d’éventuellement aliéner ces biens-là. On veut s’assurer que ça va rester un bien collectif. »
Traverser le temps
En arrivant au bistro, on est d’abord frappé par la beauté naturelle du décor. L’intérieur du resto, lui, est une traversée dans le temps, avec ses planchers qui craquent, l’usure de son bois, l’odeur d’une époque révolue. La clientèle est variée ; touristes, familles et habitués s’y retrouvent pour voir un spectacle (le bistro est un passage obligé sur la feuille de route du musicien en tournée), boire une pinte et manger une bouchée. Le contact avec le territoire se retrouve jusque dans l’assiette, que ce soit avec le burger de cerf rouge ou la bière au sapin baumier. La microbrasserie La Chasse-Pinte élabore des bières (brassées pas très loin du bistro) dont l’identité est axée sur les saveurs et les couleurs du territoire, ce qui se traduit dans leur goût, dans leurs noms et sur leurs étiquettes, dont les illustrations sont signées Ève Breton Roy.
« On met en valeur la boréalie, donc tous les produits de la botanique forestière locale, régionale, québécoise, dit le jeune maire. On a vraiment un objectif de faire connaître ce qu’est notre terroir local et régional à travers nos produits et nos activités. »
En plus du Bistro de l’Anse, de la microbrasserie et de la pêche, le visiteur trouvera dans le village et aux alentours quantité d’activités pour enrichir ses journées : une randonnée pédestre au cœur des monts avoisinants ; du kayak ou du bateau à voile dans le fjord ; un peu de détente sur la plage Saint-Étienne de Petit-Saguenay ; ou les circuits de via ferrata du parc national du Fjord-du-Saguenay. L’offre est si abondante que le voyageur devra planifier un séjour de longue durée, s’il veut en profiter.
« Le Fjord-du-Saguenay est une région particulière pour diverses raisons, mais d’abord pour la chaleur des gens, pour l’esprit de débrouillardise qu’on retrouve sur place. Les gens veulent vivre ici et s’ancrer dans le territoire ; ça c’est exceptionnel dans le caractère des gens, commente Philôme La France. Et c’est évidemment une région qui est de toute beauté, avec ses paysages, le fjord, les montagnes, l’arrière-pays, les lacs, la nature à perte de vue. C’est une région exceptionnelle, où on peut vivre à l’année et profiter de la nature, du plein air, des activités et de la vie culturelle qu’on retrouve sur place, qui est franchement originale. »
Si les noms de Tadoussac et de Sainte-Rose-du-Nord sont plus connus dans la région, il reste qu’il faut découvrir L’Anse-Saint-Jean, Petit-Saguenay et Rivière-Éternité pour prendre le pouls du Bas-Saguenay et découvrir une région touristique somptueuse. Qui sait, peut-être que le coup de cœur sera tellement grand qu’on voudra s’y établir de façon permanente…