Un héritage biologique

La cinquième génération de la fromagerie Bouchard artisan bio travaille aujourd’hui dans un seul but : la pérennité de ses terres, qu’ils souhaitent léguer plus riches encore qu’ils ne les ont reçues de leur père.

« Je n’ai pas connu autre chose que l’agriculture biologique », explique d’emblée Annie Bouchard à propos des terres qui l’ont vue grandir. Le jardin et la vaste cour arrière, où l’on a ajouté des tables à pique-nique et des bancs, sont invitants. Comme la Véloroute des Bleuets se situe juste en face de la fromagerie, le long support à vélos est garni des bicyclettes de sportifs qui s’arrêtent prendre une bouchée au détour de leur trajet. Au loin, de l’autre côté du rang Saint-Eusèbe, à Saint-Félicien, on entend le murmure des rapides de la fameuse rivière Ashuapmushuan. 

Si l’ancienne fromagerie Ferme des chutes s’est refaite une beauté, en 2017, en changeant de nom pour Bouchard artisan bio et en arborant une nouvelle image de marque — l’amusante vache Simone — et un nouveau slogan — « Respectueux de nature » — la fierté de reconduire 42 ans de savoir-faire en agriculture biologique est, elle, inchangée. 

« Au début de l’industrialisation de l’agriculture, mon père et mon oncle ont acheté la terre de mon grand-père et ont suivi les “recommandations et les conseils” des agronomes du temps, explique Annie Bouchard, membre du trio de propriétaires. Ils prônaient l’utilisation d’engrais chimique et des stimulants pour que les vaches donnent plus de lait. Mon père a essayé cette recette qui était censée être “magique” ; mais étendre de l’engrais chimique dans leurs champs allait à l’encontre de leurs valeurs. Les vaches, elles, donnaient plus de lait, mais étaient toujours malades. »  

À la suite de la lecture d’un texte traitant du respect du sol d’un agronome allemand, ils prennent la décision de tout arrêter, en 1978, pour se tourner vers une agriculture sous gestion biologique. Un terme qui n’existait pas encore à l’époque, mais qui appliquait essentiellement les mêmes principes que ceux que l’on connaît aujourd’hui. 

Bien que perçus comme d’irréductibles Gaulois, ils n’en font qu’à leur tête et décident, par conviction et par respect pour la nature, d’arrêter de répandre de l’engrais chimique dans les champs. Ils apprennent les rudiments du sol de sable, une technique pourtant non propice à l’agriculture de leur région. Un défi qu’ils surmontent en semant des plantes qui équilibrent et savent créer ce dont le sol a besoin pour que ce dernier devienne fertile sans qu’on ait besoin d’y ajouter quoi que ce soit de chimique. C’est primordial pour leurs vaches, qui sont nourries à l’herbe. 

« À l’époque, le lait biologique n’était pas valorisé auprès des consommateurs, ajoute Annie. Il n’y avait pas de demande pour cela. Il était mélangé avec le lait conventionnel. Comme on avait une belle qualité de lait, on trouvait dommage que les consommateurs ne puissent en profiter. C’est comme cela que l’idée de la fromagerie a germé dans la tête de mon père et de ses oncles. » 

Des artisans de la terre

C’est en 2008 qu’Annie, sa conjointe, Valérie Lefebvre, et son frère, Carl Bouchard, ont pris la relève de l’entreprise, formant la cinquième génération à la ferme et la deuxième à la fromagerie. 

« On est dans la continuité, dit Annie. Notre héritage d’agriculture biologique est important. C’est la même chose pour nos produits. On respecte le lait, on respecte la nature. Notre matière première, le lait produit à la ferme, représente entre 95 % et 98 % de nos produits. On met un minimum d’ingrédients pour avoir un produit de qualité. Le but est de travailler le lait le moins possible, pour avoir d’excellents yogourts et fromages. » 

Quatre éléments distinguent ces derniers de ceux des compétiteurs : ils sont biologiques, issus de méthodes de travail artisanales, fermiers, c’est-à-dire provenant de leur ferme uniquement, et proviennent d’une agriculture boréale, c’est-à-dire d’une zone nordique située au-dessus du 48e parallèle où les plantes et l’herbe concentrent leurs sucres pendant le jour pour conserver la chaleur et affronter les nuits très fraîches. 

« On est des artisans de la terre, des artisans des animaux de la ferme et de la transformation laitière, ajoute-t-elle. C’est toujours intéressant d’avoir le contrôle sur la chaîne de A à Z, sauf sur Dame nature : du brin d’herbe dans le sol jusqu’au morceau de fromage ou au pot de yogourt transformé ici. »

Au menu de la fromagerie, on trouve des recettes de produits laitiers, dont deux fromages (cheddar et brick) et un yogourt. Le brick — un fromage délactosé dont une variante est un fromage… aux bleuets ! — est baptisé St-Fé, le diminutif que les locaux donnent à la ville de Saint-Félicien. Le cheddar est frais, en grains, ou encore en meule et vieilli (six mois pour le Rapide Arcand, un an pour le Chute à Michel et deux ans pour le Chute à l’Ours, des noms associés à la rivière Ashuapmushuan, qui fait partie du terroir). « Le concept est que plus le cheddar est jeune et moins fort en bouche, plus le rapide est petit. Plus tu remontes la rivière, plus les rapides sont intenses ; plus le fromage goûte fort. »

Quant aux yogourts, ils sont faits « comme si on les faisait dans une yaourtière à la maison », explique Annie. Nature ou rehaussé de bleuets sauvages ou de fraise en purée, le yogourt des Bouchard est très doux, possède une belle texture et goûte le lait. 

« C’est vraiment la notion du terroir qui nous donne notre spécificité. Notre lait est associé à notre rang ; alors c’est très important de transformer nous-mêmes le lait de notre ferme. Pour nous, ça va au-delà du biologique. On travaille en harmonie avec la nature, et nous en sommes fiers. » 

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