Le Centre Bang tel qu’on le connaît n’existe que depuis 2013, mais il est le résultat de l’union de deux centres d’artistes ayant chacun à sa façon forgé le milieu de l’art de Chicoutimi. Espace virtuel, situé sur la rue Jacques-Cartier, existe depuis 1958, alors qu’Espace Séquence a été créé en 1983 et a rapidement développé une spécialisation en art numérique.
La mise en commun comme solution
Au début des années 2010, les deux centres connaissent des difficultés. «Ça faisait plusieurs mois, voire plusieurs années, que Séquence cherchait pour la passation de la direction générale et direction artistique de l’organisation», résume le directeur adjoint Patrick Moisan. Du côté d’Espace virtuel, une nouvelle équipe motivée avait depuis peu pris le relais, mais était limitée sur le plan financier dans la réalisation de son mandat et de ses projets. Surgit «l’idée de travailler pour rassembler les forces des deux organisations, pour créer une intégration et non une fusion».
La nuance est ici essentielle, puisqu’elle a permis aux deux espaces de garder chacun leur identité, leur vocation, leur équipe salariée et leur espace physique. Désormais, le Centre Bang n’a qu’une seule direction artistique pour les deux entités, ce qui permet à l’équipe de déterminer quel lieu sied le mieux à chacune des propositions artistiques de sa programmation.
De son côté, Espace virtuel jouit d’une grande affluence grâce à son lien étroit avec le cégep de Chicoutimi, avec qui il partage le bâtiment, et sa proximité avec l’UQAC. «C’est un des endroits au Québec où les expos sont les plus vues», s’enthousiasme le directeur adjoint. Sa programmation est donc rythmée par les sessions scolaires, et si on y retrouve des expositions, l’espace sert davantage de laboratoire de recherche-création aux artistes en résidence qu’à la diffusion.
Quant à Espace Séquence, il est installé dans un grand local sur la rue Racine, en plein centre-ville, permettant une proximité avec un public parfois moins en contact avec l’art actuel. Sa programmation s’étale sur l’année entière, avec une grande exposition qui se déploie pendant l’été.
Les livres comme appât
Servant à la fois de vitrine à l’immeuble de la rue Racine et de source de revenu autonome pour le centre, la librairie Point de suspension occupe la partie avant d’Espace Séquence. Elle agit aussi comme une zone tampon entre la rue et le centre d’artistes, un «sas de médiation culturelle», comme le qualifie l’équipe. Si les gens ne savent pas nécessairement «comment se comporter dans un centre d’artistes, ne savent pas trop c’est quoi, ne savent pas que c’est gratuit, ils savent comment se comporter dans un commerce», résume Patrick Moisan. «En même temps, c’est une source de beauté supplémentaire, ajoute le libraire Étienne Provencher-Rousseau. Ça vient donner de la profondeur au mandat du Centre Bang, c’est-à-dire qu’on accentue l’aspect diffusion déjà présent sur le plan des expositions et du soutien aux artistes.»
Tenue par une minuscule équipe à la passion contagieuse, la librairie comporte une spécialisation en livres d’art. À l’image de la curiosité de son public cible qu’on souhaite titiller et élargir, on retrouve aussi dans les rayons une sélection soignée de poésie québécoise, d’essais et de littérature, à la fois québécoise et étrangère. «On sait très bien aujourd’hui que l’art contemporain et l’art actuel sont intimement liés aux sciences sociales, à la philosophie, à tous les grands théoriciens du 20e siècle et aux actuels, explique Étienne Provencher-Rousseau. Les artistes n’ont jamais eu autant à justifier et à théoriser leur démarche», d’où l’importance accrue de s’ouvrir aux autres disciplines et de cultiver d’autres champs d’intérêt pour nourrir leur pratique.
Le couteau suisse comme soutien aux artistes
Les initiatives du Centre Bang se multiplient et innovent chaque fois dans leur capacité à rassembler différents partenaires. Peu importe la forme que prend chacun de ces projets, l’artiste et l’amélioration des conditions de sa pratique sous-tendent l’ensemble de la démarche du centre. «Le soutien accordé n’est pas nécessairement adéquat dans le contexte des centres d’artistes québécois, parce qu’on n’est pas un tremplin l’un vers l’autre de manière cohérente, déplore Patrick Moisan. On essaie de travailler et de réfléchir constamment pour développer des axes de circulation, que ça soit avec des artistes, des projets ou des idées.» C’est ainsi que des collaborations se tissent avec Rouyn-Noranda, Gatineau, Sherbrooke et la Gaspésie, mais aussi Ottawa, Moncton et Winnipeg et même la Suède, la Belgique et la Grèce, afin «de faire rayonner tout ce travail-là que les artistes font, pour ne pas que ça se ramasse dans le fond d’un atelier à Chicoutimi et que ça ne soit pas vu, ou vu juste une fois».
Le projet-pilote D’Artagnan a été créé dans cet élan et accompagne un même artiste dans tous les pans de sa pratique artistique et entrepreneuriale, «de la conception, la recherche-création, la production, la réalisation, la diffusion, l’exposition de longue durée, la publication, la circulation jusqu’au rayonnement international», énumère Patrick Moisan. Pour mieux y parvenir, Bang collabore avec les forces vives du milieu culturel de la région afin de propulser l’artiste. Deux artistes ont jusqu’à maintenant pris part au projet qui s’étale sur environ un an et demi, et termineront leur parcours dans l’année qui vient: Julien Boily d’abord, suivi par Paolo Almario.
La passion du réseau
La collaboration est donc au cœur de l’ADN du centre, et cela se reflète à l’échelle locale: Bang fait partie d’un regroupement de sept organismes œuvrant dans le secteur culturel afin de «créer un écosystème riche en possibilités, en équipements et en expertises», résume le directeur adjoint. En font également partie le festival de courts métrages Regard, la bande Sonimage, le centre d’artistes Le Lobe, le centre de production en art actuel Toutout, le Centre Sagamie et la revue Zone occupée.
La lancée collaborative de Bang ne s’arrête pas là, l’équipe travaillant d’arrache-pied à la mise en place d’un écosystème régional encore plus vaste. L’ambitieux projet de Hub Saguenay–Lac-Saint-Jean suit le même principe de mutualisation de services et de protocoles d’entente que le Groupe des sept, mais agit cette fois à un niveau intersectoriel, touchant autant l’art actuel que la géomatique, en passant par l’industrie de l’aluminium. Si le partenariat permet aux artistes de décupler les possibilités de pratique, «les autres secteurs veulent aussi faire cette interconnexion-là et avoir accès aux créateurs, de par leur capacité à challenger leur développement, leurs recherches, leurs expérimentations, leur vision du monde», estime le directeur adjoint.
En mettant en place de telles structures, que ce soit par le projet d’accompagnement d’artistes ou par le tissage d’un réseau solide pour faciliter la création et la diffusion, Bang espère que les artistes issus de la région souhaitent y rester. Après tout, comme le résume Patrick Moisan: «La force et la richesse des types de pratiques et des possibilités, elle est dans l’écosystème qu’on a réussi à bâtir et la proximité avec toutes les ressources disponibles.» Il n’y a pas à dire, le terreau est fertile.