L’amour des arts de mère en fille

La galerie La Corniche à Chicoutimi possède une solide réputation dans le milieu de l’art et a vu des artistes de la région prendre leur envol. On doit ce lieu emblématique à l’esprit entrepreneurial de Pâquerette Hudon, et à l’opiniâtreté de sa fille qui a préservé ce legs culturel.

Avant d’avoir pignon sur la rue Racine – où elle est désormais la seule galerie d’art –, La Corniche est d’abord née en 1974 dans le sous-sol de la maison familiale de Pâquerette Hudon. Celle-ci, après plusieurs années de bénévolat dans le milieu culturel, s’est jetée dans l’entrepreneuriat de l’art, sous les encouragements entre autres du peintre Albert Rousseau. « C’était à une époque où les femmes travaillaient très peu, mais ma mère avait beaucoup de ressources et elle avait besoin de sortir des couches et de la maison », raconte Chantale, l’aînée des quatre enfants de Pâquerette et aujourd’hui à la tête de La Corniche.

 

Bien que la Loi sur la capacité juridique de la femme mariée ait été adoptée en 1964, un projet dirigé par la première femme députée et ministre du Québec, Marie-Claire Kirkland-Casgrain, c’est le mari de Pâquerette qui a dû signer à sa place à la banque pour obtenir un prêt afin d’acheter des oeuvres d’un artiste important, Stanley M. Cosgrove, très recherché à l’époque. « Il y avait peu de femmes en affaires et elle n’avait pas d’emploi, ça a été l’insulte suprême. Mais après, elle a fait son chemin… »

Une quarantaine d’années plus tard, La Corniche continue d’offrir une vitrine exceptionnelle aux artistes de la région, du Québec et du Canada, sans égard aux questions de générations. Ainsi, de grands artistes comme Arthur Villeneuve ou Gilles Jobin côtoient de jeunes esprits comme Maude Cournoyer ou James Kerr. Les courants et les styles s’entremêlent, car l’objectif premier est de faire découvrir au plus grand nombre des oeuvres singulières, et de faire de La Corniche un lieu accessible où l’amour de l’art prime – car l’art en région est toujours florissant selon Chantale : « Il y a toujours un intérêt de la part des gens pour les ateliers d’artistes, les expositions dans les centres culturels et musées, et les galeries privées, quoique moins présentes qu’autrefois. Cet intérêt est toutefois plus diffus, à travers le web pour une bonne proportion. Mais en même temps, dans notre cas, un marché plus grand s’est ouvert grâce au web et c’est ce qui nous permet de présenter des oeuvres de grand intérêt en région. »

Une passation

D’une job d’été à la carrière d’une vie : voici comment on pourrait décrire le cheminement de Chantale, qui a repris les rênes de La Corniche en 1998. Et comment faire honneur à cet héritage ? La galeriste avoue avoir dû surmonter plusieurs défis, dont la préservation du lien avec les artistes : « C’est une relation très privilégiée qu’on a avec les artistes. Ma mère était une personne très attachante, alors ils l’aimaient beaucoup. Quand elle leur a annoncé que j’allais diriger la galerie, ça a un peu craqué, ça n’allait pas. Il a donc fallu que je fasse ma place. »

L’acharnement est la clé, croit Chantale. Grâce à ce trait de caractère, cette femme d’affaires a, comme sa mère avant elle, fait son chemin. « J’étais jeune à l’époque alors il fallait que je montre ma crédibilité aux gens, car comme les artistes, les clients avaient aussi une grande confiance en ma mère. Je pense avoir réussi : avec le temps, ils se sont aperçus de mon amour pour le milieu, et que j’étais sérieuse. Les artistes créent des oeuvres, mais mon oeuvre à moi est de créer une galerie qui avance, qui évolue avec le temps et avec les artistes. »

Redonner à la communauté

Après toutes ces années d’activité, il est naturel de se demander de quoi sera fait l’avenir. La transmission se fera autrement, car Chantale n’aura pas de relève. « C’est un peu pareil partout au Québec : c’est très difficile de revendre des galeries. Il y a beaucoup de changements dans la manière de consommer l’art comme de consommer tout le reste, et on ne sait pas où tout cela va aller. Moi, je continue mon petit bonhomme de chemin avec plaisir, et on verra. »

Alors qu’elle est en fin de carrière, la galeriste veut redonner à la communauté ce qu’elle a appris, que ce soit au contact de sa mère, des artistes ou de clients fidèles. « J’ai ce savoir, mes expériences et mes connaissances, et j’essaie de redonner tout cela à des organismes d’ici. Je leur donne ce que je suis, ce que j’ai afin de voir ce qu’on peut développer ensemble. »

Si vos pas vous mènent dans cette charmante ville, ne manquez pas de vous arrêter à La Corniche, où Chantale vous parlera des gammes d’émotions que l’art devrait susciter, entre le plaisir, le trouble et le questionnement. Entre galeriste et visiteurs, la relation peut être si intime, assez pour qu’elle vous parle de la raison première de ce choix de carrière : « Ce qui vient le plus me chercher, le plus viscéral, c’est la force du geste, la virtuosité, la finesse d’un coup de crayon, la couleur et le noir et blanc, l’imagination florissante d’un artiste naïf ; en fait, un peu de tout tant et aussi longtemps que ce sera quelque chose qui sort de l’âme, quelque chose de personnel, de vrai. »

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