Situé à une dizaine de kilomètres du centre-ville, l’ancien site scout acquis en 2012 par le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or répondait à des critères de proximité avec la nature : son terrain cerclé de forêt borde le lac Lemoine. Dès qu’on y pose les pieds, on sent son rythme cardiaque ralentir et sa respiration gagner en amplitude.
Fidèle à son impulsion de départ, l’équipe de Kinawit, un site culturel anicinabe, organise un événement de culture traditionnelle pour la communauté deux fois par mois, le plus souvent sous le chapitoine qui tient lieu de cuisine. « On fait cuire des oies, des outardes, des castors », énumère Mario Labbé, gestionnaire de services en poste depuis l’été 2019.
C’est à Val-d’Or et aux alentours que la présence autochtone urbaine est la plus concentrée en Abitibi-Témiscamingue. La ville est le point de départ de plusieurs vols vers les communautés du Grand Nord et la porte d’entrée de la région quand on arrive par le sud du Québec. En plus du Centre d’amitié autochtone, on y trouve de nombreuses entreprises cries et le pavillon des Premiers-Peuples de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. La réserve de la Nation Anishnabe du Lac Simon n’est qu’à une quarantaine de kilomètres de là.
Maîtres chez soi
Peu de temps après sa création, Kinawit a suscité un intérêt chez les allochtones de la région, qui souhaitaient y voir un volet touristique et éducatif. Les membres des communautés ont alors choisi les éléments de la culture anicinabe qu’ils voulaient mettre en valeur et partager.
Les visites guidées sont axées autour de grandes thématiques, notamment la cuisine traditionnelle, avec une dégustation de bannique et de thé, la spiritualité, les voies d’eau, les plantes médicinales, les valeurs ancestrales, les abris et les tipis. « L’intention de la visite, c’est le plaisir et la qualité des échanges », explique Mario Labbé.
Même si les visites ont une certaine structure, c’est la spontanéité de la rencontre qui prime lors d’une visite à Kinawit. « L’objectif, c’est d’y aller en suivant le cours du jour. Parfois, les gens arrivent ici et c’est extraordinaire, tandis que le jour d’après, ce sera doux et tranquille, avec le plein air à l’honneur. »
En 2020, on y accueillera les touristes pour une quatrième année, eux qui ont été près de 1700 à visiter le site à l’été 2019. En plus des visites guidées et de la location de canots et de kayaks, l’hébergement y est proposé. Ceux qui le souhaitent peuvent ainsi prolonger leur expérience en passant la nuit sur le site. Deux options s’offrent à eux : les tipis, où l’on dort sur un épais sapinage, de juin à octobre, et les petits chalets, disponibles à longueur d’année.
Miser sur la jeunesse
L’équipe de Kinawit met beaucoup d’énergie dans l’accueil des groupes scolaires, consciente de l’importance de marquer positivement les esprits dans la fleur de l’âge. En favorisant les contacts agréables et détendus entre les nations qui cohabitent sur le territoire, Kinawit œuvre à attaquer les préjugés à la racine, avant qu’ils ne se cristallisent. « Quand c’est plaisant, tu ne parles plus de la même manière [des autochtones] », résume Mario Labbé. Même écho du côté des Anicinabes : « Après ça, les Blancs ne sont pas tous des gens qui haïssent les peuples autochtones. »
L’art pour raccommoder
Depuis 2018, le site accueille des artistes en résidence de deux à quatre semaines. L’année dernière, un artisan spécialisé en tannage de peaux et un autre en construction de canots d’écorce ont fait montre de leur savoir-faire à Kinawit. Au travers de leur pratique, ils sont entrés en contact avec les différentes populations gravitant autour du site : les étudiants de passage, les touristes curieux et les autochtones qui souhaitent se réapproprier un pan de leur tradition.
Cela cadre tout à fait avec une des orientations de Kinawit, encore en développement : la guérison et la réconciliation avec soi, pour un peuple qui porte souvent en lui les traces de traumatismes intergénérationnels. Pour certains, l’apprentissage des savoirs traditionnels des aînés, alors que la transmission avait été interrompue dans la chaîne familiale, a une puissance réparatrice insoupçonnée.
C’est le cas pour Roy Cheezo, un septuagénaire qui fréquente Kinawit depuis deux ans, attiré par le projet de canot d’écorce de l’artisan Karl Chevrier, qu’il n’a pas tardé à assister. En terminant le canot, comme le faisait son grand-père autrefois, il a fondu en larmes. À ce moment-là, explique l’ancien conseiller en orientation maintenant retraité, « j’ai retrouvé ma culture. J’ai retrouvé mes valeurs culturelles et spirituelles ».
À échelle humaine
La taille modeste de l’équipe de Kinawit, composée de trois employés permanents et d’une dizaine de stagiaires l’été, permet une certaine souplesse dans la définition des tâches et d’encourager les forces et intérêts de chacun au fur et à mesure qu’ils se manifestent. Sachant que de nombreux stagiaires autochtones suivent un parcours d’insertion à l’emploi, cette structure malléable de l’entreprise d’économie sociale est d’autant plus précieuse.
Ainsi, pour les touristes et les jeunes, les visites de Roy Cheezo sont teintées du partage de son vécu. « Quand je suis sorti du pensionnat, j’avais le goût de mourir, comme tous les autochtones qui sont passés par là », confie celui pour qui le chemin vers la guérison a été jalonné d’étapes. Ce qu’il souhaite transmettre à travers les rencontres ? « On est tous des êtres humains. Tout le monde a de la résilience. »
Pour le moment, il n’existe pas de recette pour la réconciliation, mais il y a néanmoins de petits miracles. Chaque moment de partage, au détour d’une conversation, d’un atelier de perlage ou d’une dégustation de bannique, peut sembler anodin à l’échelle « d’un territoire ou d’un peuple, mais pour ceux qui viennent et qui participent, ça peut faire toute la différence », conclut Mario Labbé.
À Kinawit, c’est ainsi que s’assouplit le tissu social, au gré des rencontres et en défaisant un à un les préjugés.