Le décorum aux oubliettes

La cloche sonne. Les poètes montent dans le ring le temps d’un corps à corps textuel. Ça saute de la troisième corde pour attaquer l’adversaire à grand coup de rhétorique. On fait la prise de l’ours aux conventions du genre sur trame sonore de death métal. Défaite de la poésie traditionnelle par KO technique. On est au gala de « luttérature » de l’Off-festival de poésie de Trois-Rivières, et il y a de quoi revirer l’Académie Goncourt ou sa petite cousine québécoise dans ses shorts

« La capitale de la poésie », c’est le nom doux qu’a donné Félix Leclerc à Trois-Rivières, en 1985, lors de la toute première édition du Festival international de la poésie (FIPTR). La ville était affublée jusque-là du titre de capitale des pâtes et papiers. Sans doute qu’à force de transformer les fibres de cellulose, il fallait trouver de belles choses à écrire sur celles-ci.

Chaque automne, les poètes du monde entier se sont mis à converger vers la cité trifluvienne pour l’événement. Près d’un quart de siècle plus tard, tel un greffon, l’Off-festival de poésie de Trois-Rivières s’organise en marge du programme officiel.

La poésie du quotidien 

Pour les fondateurs de l’événement, il manquait un truc à la capitale de la poésie et à son festival international sur la chose. « Il y avait une lacune au niveau des poètes émergents. On ne présentait que des auteurs établis et publiés », raconte Pierre Brouillette-Hamelin qui, aux côtés de la fondatrice Erika Soucy, est dans l’organisation depuis ses débuts en 2007. Pour celui qui nage dans les eaux culturelles de Trois-Rivières depuis toujours, n’est pas poète que celui qui est reconnu par une maison d’édition. « Y a pas de certificat qui prouve que tu es un poète », ose-t-il. « La poésie est dans tout. Elle émerge du quotidien. Et, après, il faut simplement avoir la sensibilité de la communiquer », renchérit le cinéaste, musicien et poète Alexandre Dostie, qui s’est joint au duo quelques années plus tard.

Mine de rien, ce qui ne devait être qu’une soirée sans prétention au feu bar Le Charlot se dirige tranquillement vers sa 14e édition. Ce n’est pas qu’une simple excroissance dans l’ombre de l’événement principal. L’organisation a jonglé avec l’idée de se délester de l’étiquette Off-festival puis s’est ravisée. Après tout, ça fait partie de son identité d’être présent dans le milieu de la poésie, mais différemment.

 

Fuck le décorum

La mission est simple : proposer des soirées de poésie « pas plates ». Oubliez les alexandrins, les sonates et autres virelais (quoique non exclus). « Fuck le décorum. Le but, c’est d’avoir du fun », lance Pierre Brouillette-Hamelin. Mais aussi de décomplexer la parole, en amenant des gens à lire sur la scène. « On veut mettre de l’avant la poésie libérée et accueillante. Ce n’est pas une affaire d’initiés », assure Alexandre Dostie.

Bien sûr, au départ, le FIPTR n’a pas vu l’arrivée de l’Off d’un très bon œil ; mais la bisbille est chose du passé. Bien qu’il n’y ait jamais eu d’activité conjointe, les deux événements ne se cannibalisent pas. Certains poètes profitent de leur visite au festival pour aller lire à l’Off. Et vice-versa. « Ce n’est pas le même mood », lance Alexandre.

L’ambiance qu’il évoque tient davantage du show rock que d’une lecture publique au Café de Flore. « Une bonne soirée au festival peut attirer 50 personnes, alors qu’au Off, on peut être plus de 80. Ça parle fort, ça crie, ça applaudit, c’est plein, y a du monde qui attend dehors, ça sent la cigarette, la foule est bigarrée et fébrile », décrit-il avec la fougue qu’on lui connaît. Bref, c’est festif, énergisant et somme toute assez sympathique. « On ressort avec une envie d’écrire de la poésie. » Justement, celui qui ignorait presque tout du genre avant de s’impliquer dans l’événement a fini par devenir lui-même poète (un vrai de vrai, là, publié aux Éditions de l’Écrou).

Du bar Le Charlot au Mot-Dit en passant par l’App-Art, la Coop Le 507 ou le Café Frida, les planches de l’Off ont servi de tremplin à plusieurs poètes. On mentionne au passage — non sans se péter les bretelles dans un claquement chauvin bien légitime — qu’on y a vu performer les Mathieu Arsenault, Catherine Dorion et Fabien Cloutier de ce monde.

Une affaire de passion

Côté programmation, il n’y a ni barèmes ni règles claires. Ni subventions ni commandites non plus. Les contributions volontaires sont la seule source de financement (soyez généreux !). Le souhait des organisateurs, guidés exclusivement par la passion, c’est de garder le tout pertinent, et de se renouveler.

L’Off est donc toujours un peu en mutation, mais la programmation se déploie chaque année autour de quatre activités : la soirée Péril en la demeure (ou l’urgence de rapatrier sur une même scène les voix poétiques régionales) ; la Soirée de poésie et autres paroles publiables (SPAP), qui met en vedette ce qui se fait de nouveau et de mieux en poésie québécoise ; la carte blanche offerte à une personne ou un organisme lié à la poésie ; les micros ouverts, où tout le monde est le bienvenu, et où tout peut arriver.

Ensuite, on brode, selon ce qu’il est possible de faire avec le temps et les moyens du bord. On y ajoute des tables rondes (où l’on jette un regard satirique sur la littérature sentimentale de Barbara Cartland, par exemple), des performances, du théâtre, des soirées thématiques (on pense à PARTOUZE, un événement de poésie contact avec blacklights et DJ bas de gamme, où les poètes promettaient le meilleur des one-night).

Bien que la clientèle soit grandissante, il faut parfois aller à sa rencontre. Le côté ludique et accessible de l’Off permet d’ailleurs de connecter avec le public. « Si y a des gens qui n’ont pas une cenne mais qui veulent entendre de la poésie, y a pas de problème », insiste Pierre Brouillette-Hamelin.

Parce qu’on va se dire les vraies choses, personne ne touche de pactole ici. « C’est une affaire de cœur et de passion. Un désir de se rassembler autour d’une forme d’art qui n’a pas toujours bonne réputation, mais qui est une mine d’or. » Et pour profiter de ce Klondike culturel, c’est vers Trois-Rivières qu’il faut se ruer chaque automne.

Le 14e OFF-festival de poésie de Trois-Rivières aura lieu du 9 au 11 octobre 2020.

*Note : En juin 2020, Erika Soucy et Alexandre Dostie ont décidé de passer les rênes du OFF pour la 14e édition. Le nom de la nouvelle recrue : Hélène Bughin qui montera la garde avec Pierre Brouillette-Hamelin. Mais Érika et Alexandre promettent d’être « pas loin au bar, à taper des mains et crier » au prochain OFF-FIPTR.

Dans cet article

À lire aussi