Retour à Maniwaki

Mon amie Claude est retournée s’établir dans son patelin il y a quelques années. On se voit moins souvent, mais quand on est ensemble, c’est du temps de qualité. Connaissant peu l’Outaouais outre Gatineau, j’ai eu envie d’aller la visiter le temps d’un grand tour de MRC… et d’une tournée des bars de Maniwaki.

Arrivée dans cette ville de 4000 âmes par un avant-midi d’hiver où la route 105 était périlleuse en raison de la présence de glace et d’eau, mais déserte, je savais que j’avais à mes côtés une excellente guide. Claude Myre Bisaillon est une bonne amie, rencontrée il y a environ 10 ans alors qu’elle habitait la métropole et travaillait dans le monde de l’humour. Après un blues du milieu, elle a décidé de retourner habiter à Maniwaki, là où elle avait grandi. Claude est une femme de plein air qui souhaitait renouer avec un coin de pays qui offre une quantité assez phénoménale de lacs, entre autres. Elle souhaitait aussi rester près de sa mère, qui vieillit.

Claude n’a pas froid aux yeux et j’admire énormément la conviction qu’elle a eue en préparant le terrain pour son retour à la maison. Elle s’est dit: «Y a pas de raison que je ne me trouve pas de job peu importe ma localisation.» Si elle a dû sacrifier à moitié une carrière en culture pour retourner à Maniwaki – elle travaille aujourd’hui principalement pour la commission scolaire –, elle baigne tout de même dans les arts quand les contrats s’offrent à elle, ayant travaillé ces dernières années entre autres pour le (feu) Festival de l’Outaouais émergent à Gatineau et ayant mis sur pieds le festival d’arts de la scène La Dérive à l’été 2018.

Je demande à Claude de choisir un restaurant classique de la municipalité pour dîner, un endroit limite kitsch de Maniwaki. On débarque au mythique Resto Le Notre-Dame. C’est un bâtiment sans grand charme, mais l’endroit dégage une belle chaleur humaine et on s’y retrouve pour un bon repas sans prétention. Je prends sans grande hésitation la Larrypizza, garnie de poulet, parce que c’est la pizza du boss. J’en avais besoin après 3h30 de voyagement.

Visites et statistiques

On prend ensuite la route pour découvrir le sud de la MRC de La Vallée-de-la-Gatineau. On longe la 105 alors que Claude, entre deux cigarettes, me raconte sa région. Maniwaki est aujourd’hui une ville de services (faune, agriculture, transport) et – coup de théâtre! – est passé à la CAQ l’an dernier après avoir longtemps été un bastion libéral (il y a même là-bas le dicton «Peinture un cochon en rouge et il va rentrer»).

Ce coin de l’Outaouais s’est développé par le bois, entre autres avec l’arrivée de la CIP (Canadian International Paper) dans les années 1920, une grosse usine. Lorsque celle-ci a fermé ses portes dans les années 1980, ça a mené à un inévitable déclin de la population. Claude me précise que dans les années 1970, une cohorte à la polyvalente rassemblait environ 1900 étudiants; à la fin des années 1990, c’était 800 et aujourd’hui, c’est 500 jeunes.

La réserve voisine de Maniwaki se nomme Kitigan Zibi. Dans son documentaire de 2007 Le peuple invisible, le grand Richard Desjardins la décrivait comme une réserve pleine d’espoir, l’une des plus civilisées au Québec. Pendant mon séjour, on est allées prendre une bouchée à The Birch Bite, situé sur la réserve. Charmant comme tout – très instagrammable! –, le restaurant est un petit trésor caché, sur une rue parallèle à la 105. La propriétaire Anna Cote a bien voulu sortir des fourneaux cinq minutes pour nous parler de son resto ouvert depuis quelques mois. Elle nous a expliqué que d’être à la limite de Maniwaki et de Kitigan Zibi lui permet d’avoir deux clientèles qui se complètent. Elle souhaite favoriser une bonne alimentation, des produits frais et des plats sains. On retrouve sur son menu, qui est appelé à changer alors que The Birch Bite prendra de la maturité, des tacos – testés et approuvés –, des bols santé à base de riz et des smoothies, par exemple.

Sur la route entre Maniwaki et Low, en passant par Kazabazua et le magnifique lac Sainte-Marie, on croise toutes sortes de perles, comme La Vallée des canneberges, des affiches de traverse de tortues près du lac Ajawajiwesi, un barrage hydroélectrique – là où travaille un beau blond qui a aussi fait pencher la balance du retour en région – avec superbe vue sur la forêt, un commerce de bord de route où une dame haïtienne prépare des bines dans le sable, un élevage d’alpagas.

Une, deux, trois bières

De retour en ville, c’est l’heure de l’apéro, alors on se prévoit une tournée des bars. À Maniwaki, un arrêt incontournable est le bar Chez Martineau, jeune depuis 1889! On raconte que l’arrière-grand-père, ancien propriétaire de cette taverne mythique, voulait célébrer ses 100 ans au bar. Il l’a fait et est mort quelques mois plus tard. L’attachement au lieu est tel que sa femme, à son décès, a été exposée dans le bar. On se prend une pinte bien rafraîchissante pendant que les barmen nous racontent des histoires abracadabrantes qui ne peuvent qu’arriver tard dans un bar – et qui ne se racontent pas vraiment ici!

Claude connaît bien la place. C’est ici qu’elle a présenté Les Cabarets décompression en décembre 2014. Les soirées de type «open mic» avaient pour but d’offrir une tribune humoristique pour alléger le climat politique. «Y a une fille qui était venue chanter: “Vous NOUS avez monté un beau grand bateau”!», me mentionne Claude.

Si Chez Martineau fait partie des meubles, il y a aussi des bars en pleine effervescence à Maniwaki. On passe un petit moment au Rabaska, pub très populaire à l’heure de l’apéro et qui propose des chansonniers en soirée. «Si tu cherches une place où y a de l’ambiance le soir, tu te poses pas de questions et tu vas là», me dit Claude. On finit ça au Canot volant: un très cool pub ludique ouvert par deux jeunes entrepreneurs il y a quelques mois. Le vaste espace sur deux étages, la terrasse ensoleillée, la variété de jeux et de bières font de cet endroit une excellente nouvelle option pour passer ses soirées entre amis.

Le lendemain matin, je devais avoir oublié une ou trois bières au compte parce que j’étais plutôt sonnée. Mais en dégrisant, je réalisais que mon passage à Maniwaki, aussi court fût-il, m’avait ouvert l’esprit sur les réalités et les possibilités de la vie en région. Nul doute: je reviendrai à Maniwaki pour revoir mon amie Claude, pour pagayer et pour découvrir encore plus de petits coins cachés.

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