Le soleil plombe en ce samedi matin au Lac-Bouchette, une municipalité d’un peu plus de 1000 habitants qu’on atteint après une bonne heure sur une route boisée, la 155, avec un réseau cellulaire intermittent. Il est 9 h 30 quand notre guide, vêtu d’une bure brune à capuche, vient à notre rencontre pour commencer la visite. « Savez-vous comment s’appelle ce lac ? », nous demande-t-il, en guise de jeu-questionnaire de bienvenue ; ce à quoi nous répondons avec une confiance presque inébranlable : « le lac Bouchette ».
« Non ! C’est le lac Ouiatchouan, répond-il, ajoutant, à notre grande satisfaction, que ce lac est le prolongement de celui qui a donné son nom à la municipalité. C’est un mot innu qui veut dire “eaux tumultueuses”. Au centre, le courant est tellement fort qu’il ne gèle même pas en hiver. »
Culte franciscain
C’est devant ce lac agité et paradoxalement si paisible à regarder que le prêtre Elzéar Delamarre (le père de l’homme fort Victor Delamarre, ennemi juré de Louis Cyr) s’est installé en 1907 pour refaire sa vie. « Il n’y avait absolument rien… Juste du bois !, s’exclame notre guide. Il a construit sa maison et une petite chapelle. Quand il sonnait la cloche, les gens de l’autre côté du lac prenaient leur barque pour venir prier. Ils disaient : “On va aller voir l’ermite !” »
D’où ce curieux nom, l’Ermitage, auquel il a ajouté une mention à son prédicateur préféré : le prêtre franciscain saint Antoine de Padoue, qu’on prie lorsqu’on a perdu un objet précieux, mais aussi lorsqu’on déplore la perte de certaines valeurs humanistes, « dans une société parfois mêlée ». Delamarre vouait un véritable culte à cet homme canonisé, mort à 36 ans dans la ville portugaise de Padoue. « Saint Antoine était très engagé, très près des gens. Delamarre voulait que son ermitage soit à l’image de sa philosophie », explique Salesse.
À en juger par ce que l’on constate depuis notre arrivée, son objectif semble atteint. Sur l’immense site de l’Ermitage, on croise plusieurs capucins (qu’on peut décrire sommairement comme des religieux accordant une grande importance au vœu de pauvreté), tous très souriants. Habillés modestement, à l’image du frère Salesse, ils donnent l’impression de former une communauté soudée, ouverte et accueillante. « On a des pèlerins de partout dans le monde qui viennent nous voir, notamment des Indiens, des Haïtiens, des Philippins, des Vietnamiens…, se félicite le frère. Y’a même des bouddhistes qui viennent nous voir à l’occasion. »
Sans oublier les agnostiques, comme moi, qui viennent profiter de la beauté de l’endroit.
Expérience modernisée
Le décor champêtre qui nous entoure tend à nous faire oublier l’aspect religieux du sanctuaire au profit de son côté touristique, tout aussi important. Pouvant accueillir jusqu’à 250 personnes par nuit, l’Ermitage est reconnu pour son vaste site de camping ainsi que pour ses nombreuses chambres et ses chalets familiaux à louer. Son « pain des pauvres », fabriqué sur place dans l’aire de boulangerie, et son « assiette du pêcheur », composée de pétoncles, de moules, de crevettes et de doré fraîchement pêché, attirent aussi son lot d’habitués. Le complexe saisonnier, ouvert « un peu avant Pâques jusqu’à la fin octobre », a accueilli plus de 90 000 visiteurs en 2018. « Et grâce à toutes nos nouveautés, on croit pouvoir dépasser le cap du 100 000, pour les prochaines années ».
De toutes ces « nouveautés » (parmi lesquelles on note le réaménagement de plusieurs structures du site, la modernisation des aires de service du restaurant, la rénovation de quelques chambres et l’ajout de bornes de recharge pour les voitures électriques), une semble tout particulièrement rendre notre guide heureux : le spectacle multimédia Origine. « Les gens ne soupçonnent pas la qualité de cette expérience-là. Ils pensent que ça va être quétaine, mais au contraire… C’est une œuvre forte, ouverte à l’interprétation », vante-t-il, très emballé. Malheureusement pour lui, le doux soleil dans le ciel a une force de persuasion plus grande encore… On se fera un devoir d’y aller lors d’une prochaine visite.
Se laisser guider par la nature
À l’extérieur, de toute façon, ce ne sont pas les activités qui manquent. Outre la visite historique guidée — qui comprend un passage très intéressant sur le peintre et illustrateur Charles Huot, dont l’essentiel des œuvres se trouve ici —, l’Ermitage mise sur des concerts d’orgue en plein air, un agréable sentier pédestre de 7 kilomètres et une tour d’observation de 25 mètres, qui culmine en une magnifique vue sur la région. À proximité, on trouve aussi plusieurs plages et points d’eau pour se baigner.
C’est notamment grâce à ses activités de plein air que l’Ermitage se démarque des trois autres sanctuaires nationaux (la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré, l’oratoire Saint-Joseph et le sanctuaire Notre-Dame-du-Cap). « On est le seul sanctuaire en pleine nature. Ça va de pair avec notre spiritualité franciscaine, qui a l’environnement à cœur, observe-t-il. Mais bon, l’inconvénient dans tout ça, c’est qu’on est loin… »
Loin des grands centres urbains, certes, mais pas si loin des très beaux paysages que constituent la rivière Saint-Maurice, le lac Saint-Jean et la vallée du fjord. Une halte d’une ou deux nuits à l’Ermitage, avant de reprendre la route vers le lac Saint-Jean, peut s’avérer aussi intéressante qu’apaisante. Le séjour peut même avoir quelque chose de profondément vivifiant. « Quand tu passes par ici, il y a une transformation, un changement, une prise de conscience qui naît, croit fermement notre guide. Notre but, c’est que les gens repartent d’ici avec la croyance qu’ils sont meilleurs. » Une mission pour le moins louable.