En montant vers le p’tit parc de la Galette en partant de La Baie, y a la route 381 qui passe rapidement à travers la forêt sans qu’on s’y attarde vraiment. La première montée spectaculaire du petit lac Ha! Ha! est pas encore faite; il y a une route sinueuse qui longe la rivière du Bras d’Hamel et un mur de peupliers faux-trembles qui empêche de voir plus loin.
Assez discrète en fait, la place. Tellement discrète qu’elle est fondue dans le décor quand on passe par la grand-route pour se rendre à Saint-Urbain. La place vit d’elle-même, elle ne demande rien. La forêt boréale est juste plantée là où c’qu’à devrait être, à l’abri des regards des voyageurs qui font les allers-retours entre le Saguenay et le fleuve Saint-Laurent.
C’est en se perdant un peu à droite, un peu à gauche, jusqu’au bout du bitume, juste avant que les rangs ne se transforment en trail de quatre-roues, que l’on pénètre à la lisière entre Boilleau, dernier bastion humain avant le prochain «poste à gaz», et le parc des Laurentides; ses montagnes, ses vallées, ses ours, pis ses écureuils.
En tournant vers l’ouest sur une route de terre battue, on s’enfonce dans le Nitassinan et on rencontre à première vue rien de nouveau sinon des sapins, des parcelles défrichées ou des vieux gréements de roulottes montées sur des cages en bois. La forêt bouge pas plus et le monde semble s’accorder sur le long terme avec ce que la vente de bois de poêle et de fourrures peut bien vouloir leur rapporter.
En montant la route de terre dans le premier rang de montagne, on remonte subtilement dans le temps à une époque où les premiers colons se bâtirent des camps en bois rond à travers les mouches pis les ruisseaux.
Bien avant que leur trail soit aujourd’hui un rang à leur nom, les Abel Tremblay de ce monde défrichèrent des lots, semèrent des champs, érigèrent leur paroisse. Ils se seront battu un chemin à travers les aulnes pis les ours noirs; dans le bois, à l’année, jour et nuit, en famille.
On roule jusqu’au pied du deuxième rang de montagnes, au coin de la trail à Edmour Lavoie. En 15 minutes – l’équivalent de 200 ans de bois de poêle –, on arrive sur les ruines des fondations de la maison d’Abel. Il faut fouiller un peu pour la trouver, mais elle est bien là, gisant entre les tiges d’érable rouge et de bouleau blanc.
Avec du temps pis ben d’la patience, on trouverait peut-être des vestiges du légendaire sentier des Jésuites qui reliait Grande-Anse et La Malbaie – sentier connu des Amérindiens depuis des temps archaïques, à l’époque postglaciaire, avant même que la forêt boréale ne prenne racine.
En tournant vers le nord, des écriteaux indiquent: «Terre noire à vendre», «Mécanique générale», «Jardin des défricheurs». Entre les caniveaux de quenouilles, on partage la route avec le club de quatre-roues; les chiens nous accueillent en jappant dans le milieu du chemin, les gens de la place s’arrêtent sur leur tracteur pour nous saluer de la tête, sans que l’on se connaisse.
On remonte tranquillement entre les plantations d’épinette blanche et de pin gris en passant des panneaux de signalisation troués de balles de .22. Le rythme de vie dans le coin semble être paisible et venir avec l’air pur. Probablement que le peu de souci se résume à la météo que le bon Dieu nous donne et la grosseur de la lune qui éclaire des fois le soir dans le bois.
En quête d’aventures, une jeune famille du Saguenay prenait la route pour Québec en passant par Charlevoix. En empruntant la 381, un arrêt s’imposait au promontoire du petit lac Ha! Ha!, où la vue est majestueuse. On peut voir au loin une montagne façonnée par les glaciers, une forêt à perte de vue et une route qui s’élance au gré des rivières et de la topographie.
Charmés par la rusticité de l’endroit, les jeunes gens décidèrent de s’approprier un lopin de terre à bois à quelques kilomètres à vol de quatre-roues en amont du grand lac Ha! Ha!. En suivant leurs instincts primitifs de retour à la terre, ces néoruraux ont dès lors sans le savoir décidé de s’établir le long d’un sentier datant de plusieurs milliers d’années.
Aujourd’hui encore, armés de leur scie mécanique et d’un gallon de gaz mixé, à dos de rutilante motoneige à deux layes, ils redécouvrent à leur façon le sentier des défricheurs, tout en hochant de la tête en guise de salutation aux voyageurs qui font des allers-retours sur la grand-route.