L’immensité des glaces

À environ 16 heures de voiture à l’est de Montréal se trouvent Kegaska et sa fameuse pancarte «Route 138 – Fin». En hiver, c’est le point de départ de la Route blanche, sentier de motoneige de 400 kilomètres qui traverse la Basse-Côte-Nord.

Vous savez, ce sentiment de zénitude quand on arrive en haut d’une montagne lors d’une randonnée? Cette impression d’avoir les narines qui ont le sourire fendu jusqu’aux oreilles d’avoir autant d’air pur à portée de nez? Imaginez cela, mais en hiver, sur 400 kilomètres, entre des montagnes, des plaines enneigées, d’immenses cours d’eau gelés et des villages de quelques centaines d’habitants. Tout un dépaysement en perspective sur la Route blanche, un trésor hivernal du Québec.

Lorsque cette route, balisée et entretenue par le ministère des Transports, est ouverte, le reste du Québec a enfin la chance d’être relié à la Basse-Côte-Nord. Au lieu de prendre l’avion ou le bateau, il est possible d’enfourcher la motoneige pour découvrir la quinzaine de villages entre Kegaska et Blanc-Sablon, où vivent des Québécois anglophones et francophones ainsi que des Innus. Des gens fiers, résilients, avec des racines solidement ancrées dans le roc et les glaces.

Cette route éphémère et essentielle, façonnée par la neige et le vent, se métamorphose au fil du temps. On y croise des familles qui vont visiter des proches qu’elles n’ont pas vus depuis l’hiver d’avant, des joueurs de hockey qui vont faire honneur à leur village au prochain tournoi, des gens qui rentrent leur bois pour l’année suivante, d’autres qui vont à leur chalet d’hiver ou qui pêchent sur la glace. Ils vous parleront avec fierté de leur région et n’hésiteront pas à vous donner un coup de main au besoin. Des vrais Coasters, comme les gens de la Basse-Côte s’appellent, c’est ça: bien dans la nature, fiers de leur coin et toujours prêts à aider ceux qui veulent découvrir ce Québec différent et inspirant, avec tout le respect et l’attention qu’il mérite.   

Les jeunes de la Basse-Côte-Nord apprennent à conduire une motoneige en même temps, sinon avant, qu’ils apprennent à lire. Ils sont bien placés pour vous en parler, de leur Route blanche. J’ai donc discuté avec des élèves du secondaire de l’école de Saint-Augustin, village isolé de la Basse-Côte-Nord. «C’est une autoroute saisonnière», décrit Harley. «C’est la liberté, car tu peux partir quand tu veux», explique Sammie. «S’il n’y avait pas la Route blanche, les tournois de hockey seraient vraiment poches», lance Kameron, ce que tout le monde approuve, car un des gros avantages de la Route blanche selon ces adolescents, c’est qu’elle leur permet de voir leurs amis des autres villages. On les comprend: quand visiter le village voisin coûte 600$ pour l’aller-retour en avion, ou que le bateau ne passe qu’une fois par semaine dans chaque direction, faire le voyage de 60 ou 90 kilomètres en motoneige est à la fois pratique et abordable.

Tout le monde dans le groupe d’ados a une théorie concernant l’habillement idéal pour faire de la motoneige sur la Route blanche, allant de la quantité de paires de bas à porter à la suggestion de s’habiller comme si vous alliez en Alaska ou au mont Everest, ou de laisser votre mère s’en occuper! Bref, mieux vaut planifier son voyage avec soin, car les magasins de vêtements sont plutôt rares en Basse-Côte-Nord! «Le meilleur temps pour faire la Route blanche, c’est pendant les tournois de hockey», vous suggère Harley. Parmi leurs lieux coups de cœur, Jordan parle de cette étrange impression quand «juste avant d’arriver à Harrington, tu es sur l’océan et tu regardes et il y a juste une île, là, et tu te dis que ça ne doit pas être la bonne place»! En effet, pour arriver dans le lieu de tournage de La grande séduction en hiver, il faut d’abord monter la partie non habitée de l’île avant d’avoir une superbe vue sur le village et ses fameux trottoirs de bois… enneigés. Maggie aime les grosses montagnes, particulièrement celle près de La Tabatière, après la baie Lessard. Pour Kameron, l’arrivée à Vieux-Fort est particulièrement jolie, lorsqu’on voit le village du haut de la montagne. Sammie conclut avec ce sage conseil: «Si tu veux aller sur la Route blanche, toutes les places sont belles, alors prends ton temps et regarde!»

Maintenant que vous avez envie de vous mettre sur votre trente-six pour aller découvrir ce bout du Québec aussi oublié qu’inoubliable, on s’y prend comment? Un voyage en Basse-Côte-Nord se doit d’être bien planifié, car il y a parfois près de 100 kilomètres entre deux villages, aucun réseau cellulaire sur le sentier et certaines communautés moins populeuses n’ont pas tous les services touristiques. Heureusement, il y a la coopérative Voyages Coste, qui est également la seule agence de voyages spécialisée dans les forfaits en Basse-Côte-Nord. Vous pouvez, grâce à leurs bons conseils, acheter un forfait clés en main avec location de motoneige, hébergement et activités connexes dans la région. Les habitués de la motoneige peuvent aussi joindre Voyages Coste pour être en contact avec ses membres qui sont sur la Route blanche et ainsi avoir un service à la carte, selon leurs besoins et l’expérience recherchée.

Une fois que vous serez bien habillés, avec un bon bolide, des Coasters chaleureux qui vous attendent avec des fruits de mer et des desserts à la chicoutai au dernier village de la journée, il ne vous restera qu’à partir avec les poumons et les yeux grands ouverts vers le vrai bout du Québec.

Et si vous préférez découvrir la Route blanche sans être happés par le vent sur 400 kilomètres, deux documentaires sortent prochainement. Plusieurs voyages durant toutes les saisons sur la Basse-Côte-Nord de ses créateurs composent le film Les Coasters, qui sort cet hiver. Aussi, le podcast Par-delà la 138 devrait voir le jour en 2019, après que les coréalisateurs auront parcouru la Route blanche en skis de fond à l’hiver 2018.

Entre janvier et avril, ouverture variable selon les hivers.

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