125 pieds carrés et 23 chiens

Bien cachés le long de la route 352, entre Sainte-Thècle et Saint-Tite, 23 chiens Alaskan husky vivent entourés de l’amour inconditionnel de Maxime Leclerc et Anne-Marie Charest, un couple de mushers. Ils ont décidé il y a quelques années de quitter leur vie urbaine pour renouer avec la nature et prendre le temps… de prendre le temps.

Maxime Leclerc, 48 ans, et Anne-Marie Charest, 40 ans, ne voulaient plus de ce mode de vie urbain. Cette vie de «consommation où tu gagnes des sous et t’en dépenses beaucoup», détaille Maxime. Ils ont donc quitté la ville pour travailler au parc du Mont-Tremblant. C’est là que leurs chemins se sont croisés; lui avait été maître d’hôtel à Montréal, elle, gestionnaire en ressources humaines. En 2012, ils ont décidé d’arrêter de «nourrir le rêve des autres, pour vivre le [leur]», et sont partis s’installer en Mauricie sur les terres familiales d’Anne-Marie. Un «endroit parfait, un terrain de jeu», comme le dit Maxime, d’environ 15 hectares.

Pour ce couple d’Algonquins, cette reconnexion avec la nature devait passer par les chiens de traîneau. «Ils nous permettent d’aller dans des endroits auxquels on n’a pas facilement accès, dans lesquels il n’y a aucun bruit de mécanique, seulement leur souffle chaud», raconte le musher. Peu à peu, le ranch canin Manitou Mushers est né. Le couple propose à l’année un service de pensionnat pour canidés. «Un peu comme un camp de vacances, où un chien peut être un chien, où on lui impose le moins de choses possible», explique Maxime.

Mais l’hiver, Manitou Mushers offre des sorties en traîneau à chiens. Une manière pour le couple de s’ancrer dans le présent, au contact de ses animaux, et surtout de vivre de sa passion, selon ses valeurs. Pas question donc d’utiliser les bêtes comme de vulgaires outils de travail. «Gagner sa vie sur le dos des animaux, éthiquement, ce n’est pas évident… La ligne est mince entre la collaboration et l’exploitation», souligne Maxime. Pour lui, faire du traîneau à chiens une activité extrêmement rentable implique d’en demander beaucoup aux animaux, ce qui ne lui correspond pas vraiment.

Végétariens et amoureux des bêtes, Maxime et Anne-Marie n’envisageaient pas leur activité n’importe comment. Car lorsqu’ils ont découvert le milieu des mushers, ils ont été frappés par la manière dont les bêtes étaient traitées. «On a vu des chiens attachés et stressés. On s’est dit que c’était sûrement possible de faire autrement, sans utiliser la violence. L’humain pense souvent à son propre bien-être, il ne se demande même pas ce que le chien veut», déplore Maxime. Lui et sa compagne ont donc opté pour une technique particulière de dressage pour leurs chiens, recueillis auprès d’éleveurs qui ne les trouvent plus assez performants pour la compétition.


«Généralement, le dressage se fait sur le principe qui veut que l’homme doit agir en chef de meute. Ce n’est pas vraiment notre philosophie, même si c’est sûr, l’initiative de la relation vient de l’homme. On a plutôt opté pour la technique du clicker, qui est plus positive. C’est pas forcément parfait, mais on continue d’expérimenter», précise le musher. Cette méthode d’apprentissage tient compte des besoins des animaux et leur donne l’occasion de se réaliser. Il s’agit d’un dressage basé sur l’échange et la collaboration, et non sur l’utilisation de la force, de la peur ou de l’intimidation.

Cette technique particulière met en place un stimulus agréable pour augmenter la probabilité qu’un comportement apparaisse et se reproduise chez l’animal. Le chien va apprendre petit à petit que le bruit émis par le clicker indique qu’il a eu un bon comportement et donc qu’il va avoir une récompense. Résultat: aucun chien n’est attaché au bout d’une chaîne ou forcé de participer à une sortie en traîneau chez Manitou Mushers. Ils vivent plutôt dans des parcs.

«Nous n’avons pas le souci de la performance, nous visons plutôt une cohabitation harmonieuse, sans qu’il y ait un rapport de force», explique Maxime, qui refuse de faire du traîneau à chiens une activité lucrative. «C’est avant tout une manière de prendre soin des animaux. Ce qu’on gagne, on l’utilise pour leurs besoins.» Lors d’une sortie, Maxime et Anne-Marie veulent permettre aux visiteurs de vivre une expérience unique, éthique et authentique. Celle de découvrir un mode de vie, le leur. Pas juste de «faire un tour de manège». «Et ça, je ne vois pas comment le faire avec des groupes de 10 personnes», dit Maxime. Chez eux, on est quatre par sortie. Au maximum.

Maxime et Anne-Marie offrent donc un vrai moment d’échange et de partage, lors duquel, en plus de caresser leurs chiens et de les préparer à la randonnée, ils comptent bien apprendre aux visiteurs ce qu’est la simplicité volontaire. Le couple vit en effet dans une mini-maison de 125 pieds carrés. «On a une génératrice solaire et on va chercher l’eau à 700 pieds de la maison, grâce à une veine qui est assez profonde pour ne jamais geler. Par la force des choses, ce rythme de vie nous fait redécouvrir la valeur du temps, de l’eau. Tout est plus long, plus lent. Beaucoup pensent qu’on a acheté la misère, moi je me trouve bien plus libre qu’avant et je consacre mon temps à l’essentiel», raconte Maxime.

Anne-Marie, qui ne se considère pas comme une «fille des bois», estime que c’est le meilleur moyen pour maintenir son lien avec la nature. Un refuge dans lequel elle apprécie le silence. Entre quelques jappements, évidemment…

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