C’était d’abord le rêve chéri par un couple d’enseignants : élever des poulets pour leur retraite. Mais la mort prématurée de son mari a poussé Ginette Lafleur à mettre ce rêve de côté. Un rêve qui a repris vie lorsque Sylvain Bertrand a racheté la ferme en 2000. Malgré son manque d’expérience, l’agriculteur y a vu une opportunité, même si les poulets n’ont pas été la motivation première pour se lancer dans cette aventure. « À part en manger au St-Hubert, je ne connaissais rien au poulet. C’est l’agriculture qui m’attirait, raconte-t-il. J’aimais le milieu agricole et les valeurs qui y étaient véhiculées : le respect du travail et de l’effort. Travailler avec la nature, ça m’a toujours attiré. »
Et le hasard fait bien les choses, car sur la ferme – anciennement nommée Ferme GG et Fille et rebaptisée Aux saveurs des monts – se trouvait un petit poulailler abandonné. Ce fut l’occasion pour Sylvain de se lancer dans l’aventure de l’aviculture et de devenir l’un des deux éleveurs de poulets dans la région de l’Outaouais. « Ma femme a bien voulu m’épauler, on a vécu plusieurs années sur son salaire. Tous les profits qu’on faisait étaient réinvestis dans l’entreprise pour lui permettre de croître. »
Dans cette idée de croissance et de pérennité, la Ferme aux saveurs des monts a plus d’une corde à son arc. Les fils de Sylvain, Élie et Samuel, font de l’élevage de poules pondeuses en liberté qu’ils commercialisent dans un marché de proximité. La ferme propose également de l’autocueillette de fraises et de maïs sucré.
De l’espace
La mission première de cette entreprise familiale est d’offrir une alimentation santé aux consommateurs à un prix abordable. Sans être entièrement biologique – les poulets reçoivent des céréales conventionnelles –, la ferme a comme préoccupation principale le bien-être des animaux. « On élève de façon non intensive, on ne donne aucun antibiotique ou hormone de croissance, ni de sous-produit animal. Nos poulets sont végétariens. »
On est loin du millier de poulets produits lors de la première année d’activité de Saveurs des monts ; aujourd’hui, 35 000 poulets sont élevés chaque année. Un nombre assez modeste comparativement aux 300 000 volailles du producteur moyen. Cela veut également dire que les animaux, élevés en liberté dans un poulailler, ne se marchent pas sur les pattes, évitant ainsi la circulation de pathogènes.
« Les poulets ont de la place pour aller manger, boire, se coucher, pour battre des ailes. Ils sont confortables et pour nous, c’est ce qui est important. On laisse également les volailles grandir plus longtemps et atteindre leur pleine maturité. » Ces différentes techniques d’élevage ont bien sûr un effet sur la qualité de la viande qui est plus nourrissante et plus savoureuse, car moins grasse, selon Sylvain.
Relation de proximité
Bien que l’on voie de plus en plus se développer un marché de petits producteurs – la plupart écologiques ou biologiques –, le contact avec le consommateur reste un défi. Pour y faire face, il faut miser sur la mise en marché directe et sur l’entraide entre des entreprises qui partagent les mêmes valeurs. « On est chanceux, car on a une clientèle qui nous est fidèle. Et en Outaouais, il y a beaucoup de petits épiciers qui sont des propriétés familiales, qui ne sont pas toutes des corporations. Donc il y a une ouverture pour soutenir des producteurs locaux. »
La participation à plusieurs événements est également une bonne stratégie, comme la Fête gourmande de l’Outaouais qui a lieu au mois d’août et qui rassemble une cinquantaine de producteurs. Sans oublier les marchés publics, lieu de rencontre privilégié pour découvrir le savoir-faire régional. « Souvent, les petits producteurs n’ont pas les moyens de rejoindre les consommateurs, même si aujourd’hui, il y a plus d’outils qu’à l’époque. Toutes les tribunes sont importantes. »
Des défis quotidiens
La pénurie de main-d’oeuvre atteint des sommets au Québec comme partout au Canada. Les premières victimes sont les petites fermes avec leur charge de travail énorme et le peu de ressources, pour l’embauche de personnel entre autres. Comme le souligne Sylvain, il y a des journées avec, il y a des journées sans : « On a des enjeux à gérer de façon constante. On a 6 000 poulets en inventaire, c’est une responsabilité. On est dans la production animale, donc il faut être là tous les jours, qu’on soit malade ou non, il faut assumer la responsabilité d’avoir des animaux. »
Et il faut beaucoup d’amour et de patience pour faire ce métier. « En tant qu’agriculteur, tu n’as pas le choix d’aimer ton métier. Si ce n’est pas ta passion, ce n’est pas ta place. Tu es condamné à aimer ça, car les défis sont constants. Lorsque j’étais enseignant-agronome, mon bureau fermait le soir ; aujourd’hui, mon bureau ne ferme jamais. »
Les sources de stress proviennent de tous les côtés et sont bien souvent imprévisibles : la température, la gestion de l’offre, l’instabilité des prix des denrées. Mais Sylvain garde son optimisme, sinon autant changer de secteur. « On a toujours réussi à faire face aux surprises du quotidien. Les agriculteurs sont des gens qui sont très résilients. Ils sont encore là malgré les embûches, les canicules et les sécheresses. Ce sont des gens qui sont débrouillards. On va se fier aux valeurs et aux réflexes qu’on a développés depuis le temps. »