C’était au tournant du mois d’août, par un beau samedi, jour de marché à Yamachiche. De retour à la ferme au milieu de l’après-midi, Nicolas Gauthier décharge son camion. Le sympathique gaillard éleveur de sanglier vient tout juste de lancer une gamme de charcuteries en conserve dont il est plutôt fier. À ses produits traditionnels dont il fait le commerce s’ajoutent désormais du pâté de foie, des rillettes, de la boudinade et autres terrines dont il a complété l’élaboration au cours de l’été. L’après-midi s’annonce tranquille et il m’entraîne dans sa boucherie pour me montrer avec enthousiasme ses nouvelles installations, notamment cet autoclave usiné spécialement pour ses besoins qui lui permet de produire de manière artisanale plus d’une centaine de petits pots en une journée.
«Ça a commencé en 1998. C’était un projet fictif. C’était un travail d’école. J’avais le choix de faire un stage professionnel ou un atelier de synthèse puis je n’étais pas assez sûr de l’agriculture, ni non plus du financement, donc j’ai préféré faire un atelier, en imaginant une ferme de chevaux de course pour la convertir en une réalité un peu plus d’actualité.»
Cette ferme de chevaux de course n’était pas qu’une hypothèse sortie de nulle part. C’était celle de son père, qui la louait depuis une quarantaine d’années à un de ses oncles qui l’exploitait afin d’élever des coureurs tel qu’on pouvait en voir naguère dans les hippodromes.
«Le marché des courses a planté un peu au Québec à la fin des années 1990 et la ferme s’est retrouvée à vendre. Ce sont des terres familiales. Je les connaissais pas mal parce que depuis que j’étais petit cul, on venait visiter Yamachiche toutes les fins de semaine.»
Ce plan d’affaires fictif dans le cadre d’un atelier de synthèse dépassait donc un peu le simple travail scolaire. Peut-être inconsciemment, Nicolas allait aussi y injecter une bonne part de rêve et un désir de revisiter ses racines. Tout juste à la fin de la session, alors qu’il terminait ses travaux à Québec, le locataire quittait la ferme. Une semaine plus tard, le jeune étudiant en agriculture qu’il était à l’époque en récupérait les clés.
«J’avais déposé mon travail dans un concours de l’Université Laval qui s’appelait De l’idée au projet, qui est un concours en entrepreneuriat, et on a fini premiers, avec un plan d’affaires fictif d’un projet d’élevage de sanglier à Yamachiche, devant des entreprises établies, du monde en médecine sportive ou en technologie. Je ne m’y attendais pas! Il y avait une petite bourse de 10 000 $. Bien assez pour avoir de la crédibilité et une mise de fonds pour acheter les premiers sangliers.»
Ainsi lancé dans cet étonnant parcours de la fiction théorique à la réalité pratique, Nicolas obtient de son père un peu de temps. Ce dernier lui accorde neuf mois pour mettre son projet en branle et trouver du financement pour acheter la ferme. C’est comme ça que tout a commencé. Il avait alors 23 ans, soit le même âge que son père avait lorsqu’il a quitté cette ferme familiale. La boucle était bouclée, en quelque sorte, et Nicolas allait devenir éleveur de sanglier. Une aventure qui dure depuis plus de 20 ans. Il y a 15 ans, il commençait la construction de la boucherie à laquelle s’est ajoutée une table champêtre en 2013.
Au moment de se lancer en affaires, la consommation de sanglier était très peu commune au Québec. Malgré un certain enthousiasme récent pour les viandes de gibier d’élevage telles que le cerf rouge ou le bison, ce mammifère forestier semble toujours plus populaire dans notre imaginaire gaulois où l’appétit d’Obélix entretient la légende que dans nos assiettes. On compterait une dizaine de fermes au Québec qui en font l’élevage de manière professionnelle, mais une seule à temps plein qui fait tout de A à Z, de l’élevage à la transformation et à la distribution, celle de Nicolas. Une distribution qui passe beaucoup par les marchés publics, les clients fidèles qui viennent le visiter, mais aussi, surtout, par la restauration. La demande est telle auprès des chefs de la région que l’éleveur n’a pas à sortir de la Mauricie.
«En pensant au sanglier, je voulais regarder des productions un peu plus marginales, qui sont un peu à contresens des productions plus encadrées. J’aimais mieux le défi d’élever quelque chose de nouveau et la possibilité de le mettre en marché avec un souci de proximité.»
Bien qu’on puisse être tenté de voir le sanglier comme un porc sauvage et malgré le fait que les deux espèces offrent une viande parfaite pour la conception de charcuteries, ces deux suidés ne sont que des lointains cousins de la même famille qu’on ne saurait comparer si facilement. Le sanglier offre une viande manifestement plus maigre, mais c’est surtout le modèle d’élevage qui demeure complètement différent. Une balade derrière la ferme, dans les immenses enclos, suffit pour s’en rendre compte. Les sangliers sont libres d’aller et venir à l’extérieur tout au long de l’année et il nous faudra marcher plusieurs minutes pour en apercevoir quelques-uns.
«Je trouve que c’est un modèle d’élevage qui est plus raisonnable, plus en phase avec mes valeurs, de plus petite dimension aussi. C’est un bel avenir en agriculture, mais malheureusement, ce n’est pas le profil classique. Je crois beaucoup à ces types de production là, pour diversifier la production et la consommation.»
Ce modèle de production à échelle humaine marié à une distribution qui mise sur la proximité lui permet de gagner sa vie, mais aussi de mettre en valeur le travail de ses voisins et concitoyens. Dans les recettes qu’il concocte et dans les plats qu’il propose aux visiteurs, Nicolas Gauthier priorise toujours les produits de la région. «On ne fait pas de la restauration juste pour nourrir le monde, mais pour faire découvrir de nouvelles choses, me dit-il en riant. On a des fichus de beaux produits dans la région. La Mauricie ne s’est pas fait reconnaître pour ça par le passé, mais on trouve de plus en plus de bons vignobles, de bons producteurs de bière et de bons produits. C’est une sacrée belle région qui demande juste à être découverte et juste ici on est capables d’offrir un menu presque à 100% local. Même le pain est fait à Yamachiche. Il s’agit de s’encourager l’un et l’autre.»