Une virée à la Grange Pardue porte bien son nom. Il faut passer par un labyrinthe de petites routes toutes plus charmantes les unes que les autres pour déboucher vers le domaine. Un paysage bucolique que l’on surnomme la Petite-Suisse enveloppe la brasserie.
Dès notre entrée, le caractère chaleureux des propriétaires se ressent dans chaque recoin. Un esprit de famille est palpable. La bière coule à flot depuis le bar. L’ardoise propose des classiques de la cantine québécoise avec une touche brassicole. Attention, la poutine se sert ici bien arrosée de bière noire.
Derrière les portes battantes de la cuisine s’affairent le brasseur Pierre-André Roy et son équipe. L’orge et le houblon des terres voisines sont brassés dans d’énormes cuves. La Grange Pardue embouteille la bière depuis peu. Si la canette a connu un franc succès durant l’été 2020 dans tous les campings, un format en bouteille de 750 millilitres est offert depuis le début de 2021.
À l’heure du midi, le restaurant est pratiquement plein. Les visiteurs s’agglutinent autour des tables en groupes, le regard rieur et la panse pleine. On réalise que la Grange Pardue n’est pas si perdue que ça. Il faut dire que l’établissement termine toute une première année : grâce à l’afflux de touristes québécois, la ferme a vendu cinq fois plus de bière que dans ses prévisions.
Les curieux peuvent s’y arrêter bien plus longtemps que le temps d’une bière, question de faire des visites guidées aux champs ou dans la salle de brassage et de profiter de la vue sur le domaine à partir de l’atelier de dégustation. La Grange Pardue accueille également des soirées de dégustation de bières et fromages et des événements avec des artistes de la région lorsque le temps le permet.
La bière de la terre d’ici
Depuis le deuxième étage, nous apercevons d’ailleurs les houblonnières dont les fruits attisent nos papilles gustatives. « On veut que nos bières goûtent la région. On veut qu’elles goûtent la terre, l’eau et le climat de Ham-Nord », soutient Philippe Langlois, trésorier de l’entreprise.
Peu de microbrasseries se lancent dans la culture brassicole, de peur d’être à la merci des aléas de la nature, de ne pas être à l’abri d’une mauvaise saison. L’équipe de la Grange Pardue avait la chance de compter sur le savoir de Stéphane Turcotte, propriétaire de la terre. Fils d’agriculteurs, il souhaitait que son héritage serve à concrétiser un projet rassembleur, en lien avec la bière.
Ses connaissances et son équipement ont permis au quatuor de fondateurs de se lancer dans la culture de la terre. Prochain objectif : faire pousser le seigle, le blé et plusieurs autres ingrédients en vue de leurs prochaines concoctions.
À la première récolte, l’orge pousse relativement bien. Pour protéger les plants des parasites, les cultivateurs ont testé la mycorhize, le résultat d’une symbiose entre les champignons et le houblon. Aujourd’hui, le rendement est meilleur, et ce, sans produits chimiques ajoutés. « On essaie d’avoir une agriculture la plus responsable possible », affirme Pierre-André Roy.
Lors de notre passage, c’était jour de moisson. À l’image d’un jardin suspendu, les vignes de houblon disposées sur des fils dans le champ sont ramassées par tracteur pour ensuite être décortiquées dans la grange. Les cultivateurs s’affairent à aligner les vignes dans la machine ou bien à réunir les cocottes destinées à la malterie.
Le sex-appeal rural
La Grange Pardue voulait mettre en valeur le Centre-du-Québec en l’associant à un produit de qualité, jugeant que la région était méconnue par les citadins. « Ça aurait pu être du gin, des tartes aux pommes, mais ce qui nous rassemble, c’est un bon pot de bière avec des chums devant un paysage à couper le souffle », raconte Philippe Langlois.
« En ce moment, il y a une tendance pour revivre la campagne, le retour à la terre, ajoute-t-il. Quand tu vas dans notre pub et que tu te coules une pinte de bière, c’est passé de la terre jusqu’au verre ici et c’est là tout le coeur de l’expérience ».
La région a effectivement de la beauté à redonner. Tout près se trouve le Parc régional du Mont-Ham, qui abrite le magnifique sentier des Cascades où l’on peut se tremper le gros orteil dans les bassins qui le parsèment. D’autres producteurs maraîchers et fromagers se trouvent aussi sur la route.
Les microbrasseries comme la Grange Pardue ont aussi changé l’image de la cantine rurale québécoise où se procurer une frite et un hot-dog. « C’est une nouvelle offre culinaire. Ici, on s’est assis avec le chef (Stéphane Martin) et on s’est demandé comment on pouvait être capable de mettre en valeur notre bière dans le menu. »
L’exercice est réussi, car la sauce pour la poutine goûte la bière, de même que les ailes piquantes et le porc effiloché au goût de l’IPA brune en vedette, la Chienne à Jacques.
En somme, « on a créé un monstre et les gens adorent ce monstre », avoue Philippe Langlois. « Si tu veux profiter d’un roadtrip au Centre-du-Québec, tu mets de l’essence dans l’auto et tu viens nous voir ».