Bouger des clôtures au lieu de chauffer des tracteurs

Sur leur lopin de terre du Centre-du-Québec, Rosemarie Allen et Jacob Morin pratiquent une forme d’agriculture en phase avec la nature. 

À la ferme écoresponsable Le Paysan Gourmand, à Saint-Félix-de-Kingsey, près de Drummondville, tout fonctionne à un rythme radicalement différent de celui d’une exploitation traditionnelle. Au diable la machinerie agricole ruineuse, les vastes étendues consacrées à des monocultures et les animaux de ferme encabanés. Ici, on bouge des poulaillers mobiles, on délimite des parcelles pour les vaches et on élève les porcs au pâturage. Mieux encore : on fait confiance à son prochain pour laisser le bon montant d’argent après s’être approvisionné en légumes frais auprès du kiosque en libre-service situé sur le bord du chemin des Domaines.

« Ça fait quatre ans que nous fonctionnons ainsi et nous n’avons aucune mésaventure à déplorer. Au contraire : il y a souvent plus d’argent dans la boîte qu’il n’y a de légumes envolés ! », racontent Rosemarie Allen, 33 ans, et Jacob Morin, 28 ans, copropriétaires du Paysan Gourmand. Depuis quatre ans, ce couple de jeunes parents — Eliott, deux ans, a été rejoint depuis peu par des jumeaux — exploite sa ferme de 200 hectares selon des principes d’agroécologie. Cette forme d’agriculture durable fondée sur des préceptes écologiques, comme le refus des pesticides et des fertilisants chimiques, a notamment été popularisée par le fermier et auteur américain Joel Salatin.

« J’ai lu tous ses livres. Selon lui, on devrait laisser la nature suivre son cours au lieu de tenter de la contrôler », s’enthousiasme Jacob. Les exemples en la matière ne manquent pas au Paysan Gourmand. Ainsi, laisser le cheptel de vaches de 200 têtes paître à l’extérieur sur de petites parcelles est bénéfique pour la terre, qui est ainsi labourée et enrichie, les déjections animales faisant office de fertilisant naturel. Mieux encore : les bêtes ont moins de poux et développent moins de maladies, comme des pneumonies causées par l’air vicié des étables. « On aime dire que les animaux travaillent pour nous, dans une logique circulaire », précise-t-il.

WWOOFing, paniers et viandes

Rosemarie et Jacob se sont rencontrés sur les bancs du campus Macdonald de l’Université McGill, à Sainte-Anne-de-Bellevue. Tous deux issus de familles d’agriculteurs, ils étudiaient alors l’agronomie dans l’espoir de prendre un jour les rênes de leur propre exploitation. C’est néanmoins à la faveur d’un voyage en Nouvelle-Zélande que le couple a eu la piqûre de la production et de la vente de fruits, de légumes et de viandes à petite échelle. « Nous y faisions du WWOOFing, ce qui nous a permis de rencontrer plein de gens et d’écumer les petits marchés locaux. Par-dessus tout, nous avons été témoins d’une autre manière de cultiver que celle en vigueur au Québec », se souvient Rosemarie.

À leur retour, les deux complices sont bien décidés à appliquer ce qu’ils ont appris lors de leur immersion au pays des kiwis. En 2016, ils se lancent d’abord dans la production de fruits et de légumes, qu’ils distribuent ensuite sous forme de paniers à des particuliers. Aujourd’hui, ils nourrissent plus de 75 familles du Centre-du-Québec entre la mi-juin et la fin octobre, soit pendant 20 semaines. « Nous faisons pousser près d’une quarantaine de variétés différentes. Parmi elles, il y a les classiques tomates, concombres et herbes fraîches, mais aussi des melons, des cantaloups, des courges, du maïs sucré et même des fraises », s’enorgueillissent-ils.

Peu après, Rosemarie et Jacob se lancent dans le bœuf nourri à l’herbe, le porc de pâturage et le poulet de grain ne représentant qu’une infime partie de leurs activités. Mais, peu importe, dans le fond : leurs méthodes d’élevage permettent dans tous les cas de produire des viandes aux saveurs prononcées. « Prenons l’exemple du bœuf : la viande est très foncée étant donné que ses fibres musculaires sont très vascularisées. Aussi, elle est moins grasse et ne rétrécit pas à la cuisson ; elle demeure humide et goûteuse comparativement à une boulette de bœuf haché du commerce qui tend à s’assécher », explique Jacob.

Éducation nécessaire

Malheureusement, les qualités organoleptiques de tels aliments sont souvent boudées par les Québécois, qui ont la fâcheuse tendance à être freinés par son prix relativement élevé. En fait, les réticences des consommateurs sont si fortes qu’elles sont venues à bout du plaisir que le couple éprouvait jadis à tenir étal dans les marchés saisonniers de la région. « Il faut sans cesse expliquer, répéter, trouver des parades aux mêmes objections… À la longue, cette démarche d’évangélisation épuise, et le retour sur investissement est mauvais », regrettent-ils. À l’avenir, Le Paysan Gourmand sera donc moins présent dans ces foires publiques.

À la place, les deux fermiers et entrepreneurs comptent mettre davantage d’emphase sur la vente directe à la ferme, décrite comme moins chronophage, plus rentable et propice au partage. « On se rend compte que nos clients recherchent spécifiquement nos produits et qu’ils sont prêts à se déplacer jusqu’à nous pour combler ce besoin. En même temps, ça leur permet de voir ce que nous faisons et de nous poser directement des questions », dit Rosemarie.

Envie de mieux comprendre les tenants et aboutissant d’une production agricole écoresponsable ? Prenez rendez-vous avec la famille Allen-Morin. Elle vous attend !

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