La bière angulaire

Lové dans l’écrin bucolique de Val-David, le Baril roulant se décline aujourd’hui en un pub festif, une auberge-restaurant et une microbrasserie. Arrivé à maturité en ne partant de rien, cet établissement a réussi un véritable tour de force: devenir la bière angulaire de cette petite cité des Laurentides.

Si ce n’est pas pour ses bières artisanales, ce sera pour sa bouffe. Si ce n’est pas pour sa bouffe, ce sera pour ses concerts. Et si ce n’est pas pour ses concerts, ce sera pour ses chambres. Ne cherchez pas une raison d’essayer le Baril roulant, il y en a forcément une. Mais dès que vous aurez poussé la porte de ce petit pub de Val-David, vous saurez de suite pour quelle raison vous y reviendrez: sa chaleur.

À l’heure où «l’authenticité» est devenu un mot presque galvaudé, un concept vidé de son sens par le marketing, la chaleur, elle, ne se décrète pas sur PowerPoint ni au détour d’un plan d’affaires. Non, elle se joue sur des détails, comme ce plafond un poil trop bas qui resserre l’ambiance sans jamais l’étouffer. Sur des produits comme l’Orge d’Or, une barleywine décadente brassée à l’eau d’érable et vieillie en fût de bourbon. Sur des attitudes aussi, comme ces sourires croisés ce soir-là autour du comptoir, ou cette simplicité de chaque instant. Et sur des valeurs, surtout, comme celles que le Baril charrie depuis ses débuts en juin 2012 et qui transparaissent jusque dans son slogan: «Il n’y a pas que la bière dans la vie… mais elle améliore tout le reste!»

«Nous rêvions d’un lieu qui nous ressemble», racontent Sonia Grewal et Patrick Watson, le couple propriétaire des lieux. «On voulait faire de la bonne bière, mais aussi communiquer des idéaux de partage, de communauté, de terroir, de bio, de commerce équitable…» Mission accomplie: elle, institutrice de formation, et lui, brasseur de son état, ont su faire du Baril roulant un haut lieu brassicole et gastronomique et, surtout, l’un des carrefours de vie de Val-David. Il suffit de s’y rendre après 17h30 pour comprendre que tout le village et ses environs s’y croisent au hasard de la cinquantaine de places disponibles. Ce chiffre peut sembler faible pour un endroit aussi populaire, mais l’ambiance est à ce prix. «Le Baril, c’est un micro-organisme, acquiesce Sonia. Les soirs de concert, ça se traduit par des shows vraiment intimistes, presque addictifs. Folk, jazz, musique du monde… Les groupes qu’on accueille donnent énormément sur scène. Avec 165 concerts par an, ça nous assure un bon bouche-à-oreille.»


Depuis le lancement du projet, la famille Baril s’est agrandie. Alors que Sonia et Patrick accueillaient leur premier enfant, le pub festif des origines a été rejoint en 2015 par deux frangines: une auberge située deux rues plus loin et une salle de brassage dressée au bord de la 117. Implantée au bord de la rivière, à deux pas de la piste du Petit Train du Nord, l’auberge offre six chambres absolument délicieuses, et même un dortoir pour les plus petits budgets. C’est aussi là que le restaurant principal a finalement élu domicile. Avec son menu où les burgers d’exception (essayez celui au bison) côtoient quelques-unes des meilleures poutines du pays (celle au confit de Canard du Lac Brome est déraisonnable), l’endroit mérite un détour d’autant plus prolongé que la carte des bières est quasi identique à celle du pub. De l’aveu même des propriétaires, cet agrandissement était devenu urgent afin de satisfaire la demande. «À la fin, ce n’était plus possible de fournir: les cuisiniers voulaient m’arracher la tête», rigole Patrick en désignant la minuscule cuisine du pub.

Pour le couple qui avait toujours voulu monter une auberge de jeunesse, le rêve se concrétisait enfin. Même s’il aura fallu abandonner un morceau d’idéal en chemin. «Le Baril a d’abord été créé sous une forme de coopérative parce que ces valeurs nous rejoignaient, se souviennent Sonia et Patrick, qui sont partis de rien. Mais au bout de deux ans, on s’est rendu compte que ça n’intéressait personne: les gens qui bossaient avec nous voyaient juste ça comme une job. Tout reposait sur nos épaules. On ressentait de la frustration: en voulant être équitables avec tout le monde, la situation devenait inique pour nous.» Basculer en société privée en 2014 a permis de relâcher la pression et d’assainir la situation. Le paradoxe est savoureux: c’est en sacrifiant la structure originelle du projet que l’équipe est parvenue à sauver son âme.

Aujourd’hui, le Baril roulant offre avec ses trois entités une sorte d’expérience globale à celui qui y pénètre. La seule chose que vous n’y trouverez pas, c’est un écran pour regarder du sport: «Et c’est volontaire! rétorque Patrick avec le sourire. Il y a quelques années, j’ai failli me battre au Brouhaha pendant les séries de hockey, juste parce que je gênais la vision de quelqu’un. Je me suis juré que ça n’arriverait jamais dans mon établissement.» Mis à part ça, tout y est: à quelques dizaines de mètres de distance, on peut boire une vingtaine de bières du Baril et d’ailleurs, s’enfiler des plats impeccables élaborés avec des ingrédients du terroir, se laver les oreilles avec des groupes locaux dans la salle confinée du pub, s’effondrer quelques minutes plus tard dans l’un des lits de l’auberge, et finalement rentrer à la maison par la 117 avec quelques bouteilles de la microbrasserie dans le coffre (les tonneaux aperçus là-bas indiquent qu’une imperial stout s’en vient).

«On a beaucoup voyagé en Europe et dans le reste du monde, conclut Sonia. Et régulièrement, on se disait qu’on ne trouverait jamais le lieu idéal, l’endroit qui réunirait tout ce qu’on aime en un même point: la bière, bien sûr, mais aussi la bouffe, la musique, l’ambiance, les valeurs, l’hébergement…» Le Baril roulant en est la preuve: les «brutopies» sont faites pour être réalisées.

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