Guérir Lac-Mégantic

Lac-Mégantic n’oubliera jamais le 6 juillet 2013. Durant cette nuit explosive, tous ceux qui y ont des racines ont perdu quelqu’un, quelque chose : des amis, de la famille, des souvenirs, un centre-ville… Six ans plus tard, les projets ne manquent pas pour revitaliser la petite ville des Cantons-de-l’Est campée entre lac et collines. Et les concerts estivaux de la Chapelle du rang 1 comptent certainement parmi les plus inspirants.

J’ai grandi à Lac-Mégantic – juste Mégantic pour les intimes. Toute mon enfance, je l’ai passée sur mon vélo, entre les rues de Fatima, le secteur où nous habitions, l’aréna, ma deuxième maison (oui, j’ai un passé de patineuse artistique bien assumé) et la bibliothèque municipale. En été, j’empruntais des piles de bouquins que je dévorais tantôt au parc des Vétérans bordé par le lac, tantôt assise sur un rocher près de la marina. Jamais je n’aurais imaginé (qui l’eût cru ?) que la plupart de ces endroits partiraient en fumée une vingtaine d’années plus tard.

À quelques coins de rue des lieux du drame, l’église anglicane Saint-Barnabas, elle, est toujours debout. Je ne compte plus le nombre de fois où je suis passée devant cette petite chapelle blanche érigée en 1891 en me demandant à quoi ressemblait l’intérieur. Je ne m’explique pas pourquoi, mais elle m’intriguait. C’est ironiquement par un 6 juillet ensoleillé, cet été, que j’ai pu assouvir ma curiosité. Depuis 2017, la chapelle revit grâce à Stéphane Lavallée, aussi originaire du coin, et ses fils Jérôme, Félix et Hubert, qui l’ont métamorphosée en salle de concert intime de 60 places.

 

Musique et barbecue

« Ce projet n’existerait pas sans les gars », avoue Stéphane, avec fierté dans la voix. Il faut aussi être passionné (de la région comme de musique), puisque les trois jeunes hommes de 26, 28 et 30 ans parcourent chaque fin de semaine de l’été les quelque 250 kilomètres qui séparent Montréal de Lac-Mégantic pour épauler leur père et assurer la logistique. « Au départ, j’ai acquis la chapelle sans projet précis, sauf avec l’objectif de préserver un bâtiment patrimonial, mais l’idée d’en faire un lieu public autour de la culture est vite arrivée, raconte cet ancien journaliste. Et c’est comme ça qu’on a lancé le projet, naïvement, en se disant que les spectacles seraient intimes, peut-être, mais que la programmation, elle, serait de haut niveau, avec un équilibre entre la relève et des artistes bien établis. »

Quelques exemples ? Dan Bigras a lancé la saison 2019, qui s’est conclue à la fête du Travail avec Diane Tell. Entre les deux, Désirée, Les Louanges, Laurence Castera, Milk & Bone, pour ne nommer que quelques noms. Autant de concerts qui ont fait salle comble; à vrai dire, c’est plein chaque fois.

La musique, c’est bien, mais ce n’est pas tout. « Le spectacle n’est pas une fin en soi, acquiesce Stéphane. La mission de la Chapelle, c’est surtout de créer des rencontres entre les citoyens de Lac-Mégantic, les gens de l’extérieur – parce qu’on a beaucoup, beaucoup de touristes – et les artistes invités. » Et c’est exactement ce qui se passe. Il faut le vivre pour le croire: chaque concert est précédé d’un barbecue convivial, avec Stéphane au gril. Quelques heures avant le concert, les quatre Lavallée sont déjà au travail. Puis, dès 18h, les spectateurs commencent à affluer, même si le spectacle ne commence qu’à 20h ; entre deux bouchées de hot-dog, les habitués se saluent et les discussions s’animent spontanément entre gens de la place et visiteurs.

Dormir sur le « chemin de la croix »

L’hébergement se fait toutefois rare à Lac-Mégantic. En attendant le nouvel hôtel du centre-ville, qui sera inauguré en 2020, il y a peu d’options pour les touristes de passage. « C’est un défi », souligne Stéphane. Il est bien placé pour le savoir : entre autres projets, il a aussi aménagé Une ferme en ville, une maison de tourisme absolument charmante (et qui affiche complet pratiquement tous les week-ends de l’été). Construite en 1900, la maison de deux étages est située sur la colline de la croix lumineuse, le « chemin de la croix », comme on disait chez moi. La vraie de vraie campagne – on parle d’une terre de 34 acres –, tout près du centre-ville. D’ailleurs, les artistes qui se produisent à la Chapelle du rang 1 y sont hébergés. « Ça fait une réelle différence dans leur expérience méganticoise, et tous veulent revenir », se réjouit Stéphane.

Ce fameux soir de juillet dernier, la Française Pomme était à l’affiche. Il s’agissait de son second passage à Mégantic, preuve de l’ambiance unique de la Chapelle, où elle avait d’ailleurs choisi de tester, en « première mondiale », les chansons d’un nouvel album qui n’est pas encore sur les tablettes. Même les téléphones étaient interdits, et c’était pour le mieux. On pouvait simplement se laisser porter par la voix de l’auteure-compositrice-interprète sans être déconcentré par la perpétuelle course à la meilleure « story » sur Instagram. À la Chapelle du rang 1, pas de places assignées non plus. De toute façon, la salle est si minuscule que, même assis à l’arrière, on se sent comme si on se trouvait dans le salon de l’artiste. Unique, je vous dis !

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