La vague contre-culturelle
Alors qu’en 1974, au Québec et ailleurs, la mouvance contre-culturelle balaie les manières de faire et de vivre, un groupe d’une trentaine de personnes décrit par le poète et artiste Alain-Arthur Painchaud comme les «forces indépendantes du communautaire et du culturel de Jonquière» s’allient et, «sous l’influence des gens de théâtre et de la gang de La Rubrique», décident en assemblée générale de faire un café-théâtre pour la diffusion culturelle. Ils y organisent des corvées communautaires et rénovent le lieu qui deviendra ce lieu bien connu du public.
Modernité et futur
En 1998, le bâtiment devient la Maison d’animation sociale et culturelle (MASC) et consolide son importance pour la communauté. Sa salle principale héberge toujours le Café-Théâtre Côté-Cour, mais avec ses autres locaux le MASC est un véritable incubateur à organismes qui a notamment vu naître ou grandir le Théâtre La Rubrique, le Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, le Patro de Jonquière ou le Festival des musiques de création. Plus récemment, la MASC et le Côté-Cour ont été intégrés et des projets de rénovation sont présentement en phase de développement. Mais comme le souligne son directeur général actuel Dario Larouche, «l’aspect patrimonial et le cœur du Côté-Cour seront conservés».
L’histoire immatérielle
Mais pour réellement raconter le Côté-Cour, il faut dépasser son histoire matérielle et écrire avec l’encre invisible des mémoires affectives. Il faut raviver souvenirs, premières fois, moments uniques et illuminations. Pour Philippe Brach, c’est le lieu de son éclosion comme artiste. «J’ai fait près de quatre ans d’impro là-bas pendant mon cégep […]. On allait aussi aux Jam ATM tous les mois, c’était comme un talent show. Ça brassait beaucoup.»
C’est aussi le lieu de sa première chance. Comme il le souligne, «dès notre premier show, on s’est fait accueillir. Sonya nous a passé la salle… trop smatte, parce qu’elle savait qu’on n’avait pas une cenne». En se rappelant cette époque, il ajoute: «Je trouve ça rassurant. J’ai toujours vu le Côté-Cour comme une source de lumière érigée contre la routine et devant l’érosion de la Saint-Dominique à cette époque.» Dans la même vague, l’auteur-compositeur-interprète Dumas nous raconte ceci: «Ce fut un des premiers endroits au Québec où j’ai senti que j’avais un public qui se développait. Comme jeune artiste, c’était tout un feeling. Faire des centaines de kilomètres et arriver dans un endroit où l’on est compris, attendu et chaleureusement accueilli, c’était comme un rêve qui devenait réalité.»
Pour Daniel Côté, journaliste culturel et mémoire vivante des dernières décennies dans la région, c’est le lieu ou Edgar Bori a pour la première fois dévoilé son visage au public, lui qui performait alors à l’ombre ou derrière un rideau: «Il m’avait dit qu’il le ferait en entrevue. Il voulait le faire au Côté-Cour parce que c’était un public qu’il connaissait bien. Cette soirée a été un des moments forts de sa carrière. Si ça n’avait pas fonctionné, il aurait peut-être continué de protéger son identité. Pour lui, ça va toujours rester magique.»
Autre moment marquant dans la mémoire du directeur général actuel du lieu, le metteur en scène Dario Larouche: «Je venais y voir du théâtre depuis longtemps. Puis, à un moment, le Théâtre 100 Masques a fait un cabaret érotico-théâtral. On l’avait présenté au Côté-Cour.» Pour Claude Bouchard, auteure, pilier culturel et administratrice du Côté-Cour, c’est aussi la poésie. «On y a organisé quatre nuits de la poésie avec 60 auteurs chaque fois. Malgré ses contraintes physiques, c’est vraiment le lieu de tous les possibles.» Elle se souvient encore de sa première fois. «Je devais avoir 17 ans. Je faisais de la radio communautaire. Il y avait aussi beaucoup de théâtre, c’est d’ailleurs là que j’ai vu les premières pièces de Guylaine Rivard.»
Fred Fortin se rappelle aussi de sa première fois au Côté-Cour: «C’était pour une audition pour le Festival de la chanson de Granby. Je devais avoir 21-22 ans. Puis, je suis devenu un habitué. On a joué sous plein de formes, dont en solo, avec Gros Mené, Galaxie ou Mara Tremblay. Ça a toujours été un lieu spécial, comme une cathédrale de la musique.» Sur une note moins sérieuse, il se rappelle ce moment unique où sa mère et ses tantes sont montées sur scène pour faire une chanson à répondre: «C’était génial. Après, on avait toute la gang de femmes dans la loge. Elles étaient plus sur le party que nous autres!»
Un public en or
Un autre ingrédient essentiel au Côté-Cour, selon le journaliste Daniel Côté, est son public: «Le public est de qualité. C’est difficile à définir. Il sait quand participer et quand écouter. C’était comme ça il y a 25 ans et c’est la même chose aujourd’hui. Le Côté-Cour leur offre quelque chose d’unique. Une magie. Les artistes sont chez eux.»
C’est un aspect que souligne aussi Marie-Ève Madgin, professeure et habituée de la faune musicale: «Le public est toujours attentif. Je me souviens d’un show de Mara Tremblay. On pouvait entendre une mouche voler. J’avais rarement vu une salle aussi silencieuse et respectueuse.» Elle se souvient aussi d’un fameux soir: «Le spectacle de Galaxie le jour de ma fête avec une grosse gang de filles a été mon souvenir le plus marquant. Ils ont tassé les tables et ça a dérapé. J’y ai aussi récemment fait des découvertes, notamment dans le domaine de la musique punk au festival Le Délüge.»
Avec une capacité de 150 places, la salle installe une proximité unique entre artistes et public. Le Côté-Cour offre de rares moments de symbiose dans un monde où, comme le disait déjà Gramsci, «il n’y a plus d’humains, que d’étranges machines qui s’entrechoquent».
Quelques confessions en terminant :
«Des fois, j’y vais deux fois par tournée!»
– Fred Fortin
«L’année dernière, on m’a proposé de faire le Théâtre Banque Nationale, mais j’ai préféré faire trois soirs au Côté-Cour.»
– Philippe Brach
«Même les erreurs techniques ne sont jamais un problème, l’artiste n’a qu’à réagir un peu et les gens vont l’appuyer.»
– Daniel Côté