Ode aux mains sales

En plein cœur de Val-David est né en juillet 2018 le Funky Art Cartel, une entreprise créative et multiforme qui échappe aux catégorisations. Nous avons rencontré ses trois instigatrices un lundi matin de février, dans la maison inondée de lumière qui leur sert de quartier général, afin de mieux saisir l’essence de leur proposition.

En observant Alexandra Lahaie, Jessica-Charlie Latour-Marleau et Maxim Dubé répondre à mes questions en complétant les phrases l’une de l’autre et en entendant les rires qui finissent toujours par fuser au détour d’une phrase, il serait facile de croire que les trois trentenaires se connaissent depuis toujours. À peine quatre ans se sont pourtant écoulés depuis leur rencontre au café-bistro Le Mouton noir, où elles travaillaient toutes les trois. L’aventure entrepreneuriale les a de toute évidence soudées, et elles confient d’un même souffle avoir trouvé dans leur trio l’ancrage d’une famille. «Quand on est les trois, il y a un espèce de feu qui nous donne l’énergie pour passer au travers de toutes les étapes, souligne Maxim. Ça nous propulse.»

L’étincelle du Funky Art Cartel a jailli lors d’un cours de poterie: les trois femmes ont alors envie d’unir leurs forces afin de partager au plus grand nombre le bonheur de se salir les mains. «On s’est dit qu’il faudrait qu’il y ait un lieu comme ça, où on peut créer quand on veut, ce qu’on veut, où on est libre et où on peut réunir des artistes», résume Jessica-Charlie.

Et pour faire éclore ce lieu axé sur la création tous azimuts, il n’y a pas de meilleur endroit que Val-David, village qui regroupe une importante concentration d’artistes et où les femmes sont installées depuis une quinzaine d’années. «La culture est vraiment au cœur des valeurs ici», confirme Maxim, décrivant du même souffle le lieu comme un «village-voyage», les touristes et habitants ayant souvent l’impression que tout y est possible.

Si le Funky Art Cartel demeure fidèle à l’impulsion qui l’a vu naître il y a moins d’un an, soit d’agir comme facilitateur créatif pour le plus de gens possible, ses fondatrices expérimentent encore avec les vecteurs qui serviront le mieux sa mission. «C’est un peu un laboratoire: on essaie de créer quelque chose de différent dans nos vies à travers ça», explique Jessica-Charlie, insistant sur la notion de plaisir au cœur de leur démarche. Cela explique pourquoi le volet galerie-boutique, bien que réussi, a récemment été écarté, le trio étant devenu davantage gestionnaire qu’artiste. «On a envie que la création fasse partie de notre vie quotidienne, et je pense qu’on est en train de s’en rapprocher et de faire en sorte que notre projet nous ressemble», complète Maxim.

Les entrepreneuses derrière le Funky Art Cartel, concentrent donc pour l’instant leurs énergies sur trois secteurs d’activité: les événements artistiques en tout genre, les spectacles de salon, ainsi que la sérigraphie sur mesure d’objets à l’effigie de l’entreprise – ce qui permet de financer celle-ci et de contribuer à sa diffusion.

L’intimité comme force

Depuis le début de l’aventure, les spectacles intimes dans le petit salon à l’avant de la maison donnent lieu à des moments magiques, autant pour les artistes qui y voient une possibilité d’expérimenter sans pression que pour le public qui assiste à des performances uniques. Si André Papanicolaou, Max Marshall et Dany Placard s’y sont jusqu’ici produits devant une vingtaine de personnes plus qu’attentives, entassées dans l’espace douillet, les fondatrices souhaitent aussi faire une place aux artistes moins établis, notamment grâce à des alliances avec des festivals tels que le Cabaret Festif! de la relève. Le Cartel s’assure aussi que sa programmation demeure complémentaire à celle des voisins Le Baril roulant et Le Mouton noir. Signe que la formule fonctionne: les artistes sont de plus en plus nombreux à les approcher pour se produire, alors que le public est composé à la fois de locaux et de gens de l’extérieur, rassemblant des personnes de tous les âges dans une ambiance chaleureuse.

Créer le momentum

En s’éloignant des heures d’ouverture fixes et en organisant des événements ponctuels, le Funky Art Cartel mise sur l’effet de rareté pour mobiliser les locaux à répondre présents à leurs propositions. «Si c’est ce dimanche-là qui est ouvert, tu veux être là: ça crée de l’engouement autour d’une journée», se réjouit Jessica-Charlie. Les événements sont à l’image du vaste public qu’ils souhaitent attirer: variés. Vernissages, ateliers autour d’un médium, tout est possible au Cartel! «Souvent, les gens ont peur d’essayer des nouvelles choses, que ce soit la musique ou la peinture. Il n’y a pas de mauvais chemin ou de mauvais résultat: le fun, c’est de le faire», résume Alexandra. Le trio constate également que la démarche d’être des entrepreneures atypiques inspire bien des gens à se (re)mettre à la création.

Élargir sa portée

Si la grande maison de la rue de la Sapinière demeure l’ancrage de l’entreprise, le Funky Art Cartel souhaite faire rayonner sa mission au-delà de ses quatre murs et de son village. Les propriétaires planchent sur une version portative de leur cartel, un salon répliquant l’ambiance du lieu original, «montable, démontable, transportable», qu’elles pourront faire voyager de festival en festival dès cet été. «Dans les gros événements où il y a beaucoup de monde, c’est rare qu’il y a un endroit où tu peux te déposer, où tu peux créer, explique Jessica-Charlie. C’est vraiment ça notre offre.»

Le Funky Art Cartel souhaite donc stimuler le muscle créatif du plus grand nombre, autant par sa philosophie d’entreprise et ses spectacles que ses événements à petite et grande échelle. «Les gens ne savent pas qu’ils ont besoin de créer, conclut Jessica-Charlie. On croit qu’il faut se salir les mains pour aller bien dans la vie.» Le trio souhaite donc disséminer cette philosophie dans les prochaines années, et faire croître le projet jusqu’à ce qu’il puisse en vivre à temps plein.

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