Quand l’amour fait déplacer 40 000 personnes

Tous les ingrédients étaient là pour produire un bon film : un village patrimonial bercé par un fleuve immense et flanqué d’imposantes montagnes ; le « showbiz » ; et, surtout, le rêve un brin naïf d’un gars qui voulait créer un énorme festival pour donner envie aux jeunes de rester dans sa région. Et c’est un happy ending, parce que le rêve est devenu réalité.

Depuis quelques années, le Festif ! s’empare de Baie-Saint-Paul pendant quelques jours en juillet. Tout le centre-ville est à l’honneur pour l’occasion, de la grande cour d’école aux petits balcons des résidents en passant par la marina, le sous-sol de l’église, les stationnements et les rues. Baie-Saint-Paul devient le Festif!.

Rien au départ n’annonçait un tel succès. S’il s’inventait déjà des scénarios de festival à neuf ou dix ans, Clément Turgeon, le fondateur, n’a compris qu’à 20 ans qu’il pouvait mettre en œuvre ses idées folles. « C’est pendant les festivités des 25 ans du Cirque du Soleil [né à Baie-Saint-Paul] que j’ai réalisé qu’au début, c’était des rêveurs, qui n’avaient pas d’expérience, comme moi. » Après une soirée, il croise le maire et lui parle de ses idées. « Fais-le ! », lui lance alors l’élu. Tout était dit, Clément était décidé.

Croissance rapide

Clément n’avait jamais organisé de festival et n’avait participé qu’à quelques-uns. Pour la première édition, il propose cinq shows, dont celui des Cowboys Fringants, en tête d’affiche, dans un parc à l’extérieur du centre-ville, un lieu qui sera utilisé pour les trois premières années de l’événement. Inspiré par d’autres festivals, dont celui de Tadoussac, Clément et son équipe décident ensuite de s’installer au centre-ville. Un mouvement qui aura une incidence décisive sur la croissance du Festif !, mais qui a connu quelques résistances.

On peut comprendre. La ville de moins de 8000 habitants a tout d’un coup vu débarquer 10 000 personnes dans les petites rues du centre-ville. Ça brassait les habitudes des résidents. En 2019, au dixième Festif !, ils étaient plus de 40 000 festivaliers. Ce qui demande une certaine organisation. La ville a dû s’adapter, pour être capable d’absorber un tel surplus de population.

« Maintenant, c’est super, raconte fièrement Clément Turgeon. Il n’y a plus personne qui conteste notre place dans le centre-ville. Même les commerces qui n’en profitent pas directement savent que ça bâtit une clientèle qui va revenir à Baie-Saint-Paul plus tard. On a créé des comités pour gérer les plaintes et travailler avec la communauté. » L’enthousiasme est tel que la ville a fait des travaux pour adapter ses infrastructures et ainsi mieux accueillir ces nombreux « citoyens » temporaires.

Fièrement Baie-Saint-Paulois

Clément Turgeon par Jay Kearney

Le succès du Festif ! participe déjà au rayonnement de la région. Pas seulement de Baie-Saint-Paul, mais aussi de tout Charlevoix. « Médiatiquement, ça paraît beaucoup », raconte Clément, mais il observe aussi plusieurs autres changements. « J’ai remarqué une baisse dans la rigidité des gens. Il y a plus d’ouverture envers les jeunes et les nouvelles idées, et il y a plus d’initiatives chez les jeunes, que ce soit pour des projets ou des entreprises. » Du monde qui est tombé en amour avec la ville pendant le festival au point d’aller y vivre ? C’est arrivé.

Aucun doute que ces retombées ont contribué à la place de choix du festival dans le cœur des Baie-Saint-Paulois. Et à la volonté ferme de l’équipe de collaborer avec ses partenaires locaux. « On a maintenant une politique d’achats, mais c’était déjà une volonté dès le départ. Toute la bouffe et l’alcool sur les sites sont de la région. Ça permet d’avoir des aliments de meilleure qualité, de meilleur goût, d’appuyer les entrepreneurs locaux, mais aussi d’avoir un enracinement. »

Rêver grand

Ce n’est pas parce qu’il gère maintenant un des festivals les plus courus du Québec que Clément Turgeon ne rêve plus. Chaque année, depuis quelques éditions, l’équipe croit avoir atteint sa croissance maximale. Pourtant, avec ingéniosité et en misant sur la multiplication des lieux, le festival continue de grandir, même s’il n’a pas de scène pouvant accueillir 50 000 spectateurs.

Malgré le succès, Clément ne compte pas s’arrêter là. Il y a une forte volonté de se renouveler, de continuer à vouloir se démarquer, de faire mieux. « On a atteint une certaine maturité, mais mes rêves sont maintenant rendus encore plus loin », explique-t-il, sans donner trop de détails.

Un des bébés de l’organisation, le Cabaret du Festif !, est un concours pour la relève, maintenant bien établi, qui peut déjà se vanter d’avoir donné un premier élan à des artistes comme Émile Bilodeau ou Lydia Képinski. Une aventure qui permet, en outre, d’animer les hivers charlevoisiens.

Un autre projet a obtenu du financement à l’hiver 2020, au grand bonheur de l’équipe. Le Festif ! à l’école permet des rencontres entre des artistes professionnels et des élèves. Cette expansion permet de stabiliser l’équipe, tout en prolongeant l’enracinement régional. « On veut que les gens puissent bénéficier de la musique », résume le directeur du festival.

Un tel succès ne passe pas inaperçu. Mais si le fondateur et ses complices ont travaillé plusieurs années sans salaire avant que ce bénévolat ne se transforme en emploi, ce n’est pas pour l’abandonner pour de nouveaux défis professionnels. Clément Turgeon ne rêve pas d’aller diriger le Festival d’été de Québec ou les Francos de Montréal. Il veut prendre soin de son festival et de sa région. « J’ai déjà refusé des offres d’autres festivals, dit-il sans gêne. Mais je choisis Baie-Saint-Paul à 100 miles à l’heure, sans aucune hésitation. »

Cet amour qui se dégage de ce travail d’équipe est probablement un des ingrédients secrets du Festif !, essentiel à son succès.

*Le Festif! de Baie-Saint-Paul n’aura pas lieu en 2020, mais on se retrouve bientôt.

À lire aussi