« J’avais 7 ou 8 ans… Je m’en souviendrai toute ma vie. Il y avait ces petits films en noir et blanc. Un homme regardait un morceau de verre à travers la lumière. Et même s’il n’y avait pas de couleurs, je pouvais voir dans son regard à quel point il était fasciné par ce qu’il observait », raconte Jean-Pierre Léger. Plus tard, à l’occasion d’un long voyage en Europe, il parcourt l’Italie, la France et la Grèce. Il découvre un peu plus les beautés de cet art présent dans de nombreuses cathédrales, ornant tympans et bas-côtés. Mais comment devenir artisan-verrier au Québec ?
Il n’existe, encore aujourd’hui, aucune formation pour devenir verrier. «Et ça me préoccupe toujours, car il y a encore beaucoup d’improvisation», commente-t-il. Pratiquant sur un coin de table, sans possibilité de creuser plus loin cet art ancestral, les apprentis verriers qui veulent en faire leur métier sont livrés à eux-mêmes. « Ce n’est pas comme en Europe, où il y a de vraies formations », ajoute-t-il.
C’est finalement en intégrant un atelier de verrier à Montréal, disparu aujourd’hui, que Jean-Pierre Léger se forme. Depuis, le vitrailliste a restauré de nombreux vitraux, qui apportent une lumière colorée aux vieux duplex de la métropole. « C’était très typique dans les années 1920 et 1930, surtout dans les quartiers centraux de Montréal », précise-t-il. Le dôme de l’église Saint-Jean-Baptiste, la chapelle du Collège Loyola ou encore les Archives nationales du Québec sont aussi signés de sa patte.
Mais, en secret, Jean-Pierre Léger est amoureux de Charlevoix, la région d’origine de sa compagne. Il y a quatre ans, il décide de quitter la grande ville pour s’installer aux Éboulements, petite bourgade perdue entre les montagnes et le fleuve, en plus d’y ouvrir la boutique Ô Vitrô et cie. Un environnement propice à la création, selon lui, où il s’inspire des paysages de la région pour créer des vitraux. C’est aussi la lumière particulière, typique de la boréalie, qui séduit l’artiste. « On allait souvent à Charlevoix pour camper. On emmenait notre fils en randonnée », se souvient-il. Aujourd’hui, il aime raconter que si, à Montréal, il avait 4 cousins, il s’en est trouvé 30 autres dans Charlevoix.
Une lumière inspirante
Depuis, dans son atelier, il coupe le verre, assemble, crée et restaure des vitraux. Un travail fastidieux. Jean-Pierre Léger doit d’abord dessiner sur une feuille blanche ce qui deviendra une sorte de tableau de verre traversé par la lumière. « On fait une copie de ce dessin avec des bouts de carton sur lesquels on indique la couleur qu’aura chaque morceau de verre. On dépose ensuite ces calibres de carton sur le verre qu’on découpe à la main », explique-t-il. Ce verre, Jean-Pierre Léger le trouve aux États-Unis ou en Europe. Il faut après assembler le tout, grâce à une baguette de plomb, puis souder les intersections.
« J’aime ce métier, car ça m’appelle. Ma matière première, ce n’est pas le verre, c’est la lumière », confie l’artiste. Et quand il parle de ses créations pour les particuliers, il en revient toujours à la lumière. « C’est très important de savoir où on veut installer le vitrail. Qu’on soit à l’est ou à l’ouest, la lumière ne sera jamais la même ».
Pour lui, son art est complet, et il y a un dialogue entre l’artiste et les matériaux. « Le verre me parle. J’aime aussi tout ce travail technique qui suit le dessin, qui me permet de ne pas répéter toute la journée les mêmes gestes ». À l’entendre parler de son métier, on comprend que c’est plus qu’un dialogue, c’est une communion.
Ce métier a traversé les siècles, et Jean-Pierre Léger croit qu’il y a encore matière à le transformer, à le dépoussiérer. L’artiste invente régulièrement de nouvelles techniques, notamment en se servant de la grisaille, l’une des peintures utilisées justement dans la fabrication de vitraux. Cette technique lui permet de faire des vitraux sans plomb. Jean-Pierre Léger tente aussi de se passer de ce matériau en utilisant plutôt des laminages, donc des collages. Il aimerait aussi intégrer le métal à ses créations.
Mais pour que cet art perdure, il faudrait surtout qu’une formation reconnue existe au Québec. « Le Conseil des métiers d’art travaille sur ça, car l’art des vitraux peut disparaître », dit-il. La relève n’est pas évidente. Peu de jeunes sont motivés à travailler de leurs mains pour un salaire pas bien élevé. Le Charlevoisien d’adoption le concède : « C’est difficile de gagner sa vie en étant vitrailliste». Il occupe d’ailleurs un autre emploi en parallèle. La situation actuelle l’attriste, surtout que son travail est indispensable dans certains travaux de restauration. «On parle tout de même de patrimoine. Et même si nous n’avons pas d’églises aussi vieilles qu’en Europe, elles méritent aussi d’être restaurées et entretenues. Notre histoire courte n’est pas une raison pour l’abandonner ».