Peu importe d’où l’on vient, une boulangerie a marqué notre tendre enfance par sa fraîcheur et ses odeurs. C’est pourquoi on sent quelque chose familier lorsqu’on entre dans la Boulangerie Bouchard. Toutes sortes d’odeurs chaleureuses nous viennent au nez : du pain, bien sûr, mais aussi des délices sucrés ou salés.
On se rend à la Boulangerie Bouchard en traversier à partir des Éboulements. La longue descente vers le quai nous permet d’assister à un beau spectacle. En matinée, la couche de brume se déplace lentement et dévoile l’Isle-aux-Coudres petit à petit. On a ainsi l’impression de se rendre à un endroit magique.
L’établissement est un bel ancrage dans la région, installée sur le bord du fleuve depuis 75 ans. « Je dirais qu’une boulangerie, c’est l’âme d’un village. Au même titre qu’une école », dit d’emblée Noëlle-Ange Bouchard, propriétaire depuis 15 ans. Sur le chemin des Coudriers à l’Isle-aux-Coudres, l’achalandage débute dès l’ouverture de la boulangerie. La sonnette qui annonce l’entrée de nouveaux clients a des airs de cloche d’église. La foi règne d’ailleurs pas mal dans le coeur de la propriétaire. La phrase “donnez-nous notre pain de ce jour” a évidemment beaucoup d’écho chez elle.
Il y a aussi une familiarité qui se dégage d’une rencontre Noëlle-Ange Harvey. Elle nous accueille avec toute la générosité du monde et nous traite comme des amis. Pas étonnant que certains clients l’appellent matante sans être parent avec elle ! « J’ai vu des femmes enceintes et j’ai vu des enfants grandir, dit-elle à propos du temps qui passe et des clients qui grandissent sous ses yeux. Quand ils viennent juste pour sentir l’odeur du pain, chercher leurs “pets-de-soeur” ou leur galette à la mélasse, il n’y a pas plus belle richesse que ça. Il y a des liens qui se tissent ici, c’est humain. »
Noëlle-Ange Harvey est une insulaire depuis toujours ce qui fait qu’elle est une bonne source d’informations à propos de l’Isle-aux-Coudres. Elle raconte avec beaucoup d’énergie des anecdotes, des souvenirs et des fables à propos de son coin de pays. Tout est dans la bonhomie et dans un langage imagé. Son histoire avec la boulangerie, elle la pigmente ainsi : « À 53 ans, je suis entrée dans l’arc-en-ciel du magicien d’Oz et je me suis demandé : suis-je sur mon X ? Puis la boulangerie est arrivée et… Bang ! J’y suis depuis tout ce temps-là. »
De rêve et de foi
Son acquisition de la Boulangerie Bouchard est celle d’un rêve devenu réalité. « Le 22 avril 1997, j’ai rêvé que j’achetais la Boulangerie. Dans mon rêve, je travaillais derrière une machine de loterie. Un monsieur arrive et me dit : “Madame, je viens acheter un billet gagnant et je vais vous aider à payer votre hypothèque”. Je me réveille et je pousse mon mari pour lui dire qu’il faut acheter la boulangerie. » Mais la Boulangerie Bouchard, alors la propriété d’un certain Léonard, n’est pas à vendre. Grâce à la persévérance et à la foi, elle a fini par avoir sa boulangerie. « Ça m’a pris 10 ans, dit-elle. Tous les 26 juillet, à la fête de sainte Anne, j’arrêtais voir Léonard, j’allais chercher mes petits pains. Je faisais ma demande à l’univers et un jour ç’a marché. J’ai signé les documents pour l’achat un 26 juillet. »
La colonne vertébrale de la Boulangerie Bouchard était déjà bien solide à cette époque et elle s’épanouit avec le temps. Les employés sont fidèles à l’établissement. Lors d’une visite, on ne peut que constater leur entraide et leur dynamisme, que ce soit à l’accueil des clients, à la production matinale des dizaines de pains carrés ou à la confection des soupes ou des pâtés à la viande. « C’est une équipe de travail qui fait la force d’une boulangerie, avoue Noëlle-Ange. Mon boulanger travaille ici depuis 47 ans. Il y a d’autres employés qui ont 20 ans d’expérience. Et les nouveaux qui viennent s’ajouter à l’équipe arrivent avec d’autres idées de produits, pour les végétariens, les véganes, des produits à base de farine de patate, par exemple. »
Une histoire d’aïeux
À la fois membre de la Route des saveurs de Charlevoix et conseillère municipale, la propriétaire de la boulangerie travaille en lien avec les producteurs de la région – pour le veau des pâtés, entre autres – et se fait un devoir de faire valoir les richesses gastronomiques de ce territoire qu’elle ne quitterait pour rien au monde. Les cousins de Noëlle-Ange Harvey produisent les grains de la farine utilisée pour le pain de blé sur la ferme de leurs aïeux.
Ceux-ci sont à l’origine du fameux “pâté croche”, la spécialité de la Boulangerie Bouchard. Il s’agit d’un morceau individuel de pâté à la viande (ou en formule végétarienne) salé et réconfortant. Noëlle-Ange prend un grand plaisir à nous raconter son origine, comme pour toutes les histoires de sa si chère Isle-aux-Coudres. « Nos grands-parents naviguaient sur le Saint-Laurent en canot vers Baie-Saint-Paul ou Petite-Rivière-Saint-François. Pour leur repas, ils transportaient un pâté à la viande qu’ils se séparaient à l’arrivée mais qui devenait tout croche avec le voyagement. Grand-père dit un jour à sa femme : “Faites-les tout de suite croche, de la grosseur d’une main et on en aura chacun un !” »
Aujourd’hui, les gens viennent de partout pour goûter aux pâtés croches de l’Isle-aux-Coudres.