Côté scène, côté jardin

En deux mots bien choisis, le nom de l’entreprise réussit à résumer son essence en évoquant à la fois ses volets nourriture et spectacle, ainsi que son identité francophone dans le très bilingue Brome-Missisquoi dans lequel le Beat & Betterave s’est implanté il y a maintenant quatre ans.

On entre au Beat un peu comme dans son salon, et le fait que le commerce soit logé dans une maison centenaire et que ses propriétaires Ludovic Bastien et Éloïse Comtois Mainville vivent à l’étage n’est certainement pas étranger à ce sentiment. «Les gens entrent et souvent, ils ont envie d’enlever leurs bottes!», raconte la propriétaire en riant. Elle ajoute du même souffle cette anecdote survenue une semaine avant notre entrevue, où les enfants des agriculteurs – qui s’y réunissent tous les mercredis pour se rencontrer et échanger sur leur réalité commune – se sont lancés dans un projet de construction de cabanes de couvertures en plein milieu du café, cet après-midi-là.

C’est dire à quel point le Beat est entré dans les habitudes des Frelighsbourgeois. Certains y viennent pour un café le matin, d’autres pour croquer dans ses délicieuses pizzas maison le midi ou savourer un cocktail le soir, d’autres le visitent une fois par année pour le spectacle de leur enfant ou convergent vers le lieu pour apprécier un des spectacles intimes. «Tout le monde a sa version du Beat dans sa tête», résume Ludovic.

Parce qu’il existe avant toute chose pour les gens du village et de la région, le restaurant/café/bistro est ouvert à l’année, même si les touristes y affluent principalement pendant les sept mois les plus cléments dans l’année, faisant vivre les commerces du village d’un peu plus de 1000 âmes. «Dans les missions qu’on s’était données dans les débuts, c’était d’être un lieu communautaire que les gens du coin peuvent s’approprier, constate Ludovic. C’est pour ça qu’on a des longues heures d’ouverture et qu’on reste ouvert l’hiver.» La stratégie semble fonctionner, puisque les marques de confiance et d’amour de la communauté affluent: «On a la chance de pouvoir être accepté, d’accueillir beaucoup de sortes de projets», se réjouit sa partenaire. «C’est un espace vivant!»

L’endroit est spacieux et accueillant, et devient parfois rempli à craquer lors des événements et spectacles. Il faut dire que sa programmation est alléchante: Martha Wainwright, Galaxie, Kevin Parent et Grim Skunk s’y sont produits, tout comme le feront prochainement Tire le coyote et Safia Nolin. Ludovic a évolué dans le milieu musical, surtout en tant que musicien rock, et c’est à lui qu’on doit cette programmation riche qui ratisse large.

La variété, donc, mais jamais au détriment de la qualité. Grand mélomane, il réfléchit à diversifier sa programmation et à inclure différents styles musicaux qui plairont à sa clientèle, laissant autant une place au rock bien pesant du Saguenay qu’au folk et à la musique du monde. «Des fois, j’ai carrément des visages dans ma tête quand je booke des spectacles», ce qui ne signifie pas pour autant que le public cible sera restreint: «L’endroit n’est pas étiqueté à une strate et un groupe de personnes: tu peux venir voir un spectacle et il y a autant des gens de 70 ans que des jeunes de 18.»


Si la beauté de la route pour se rendre à Frelighsburg et la grande écoute du public expliquent en partie le pouvoir d’attraction qu’exerce le Beat & Betterave sur les artistes, la qualité de l’accueil et de la technique complète l’explication. «La pièce sonne bien, elle est toute en bois et on a vraiment un bon kit de son», affirme Ludovic, ajoutant que les musiciens apprécient aussi la disposition de la salle, où ils sont «vraiment dans le monde».

Le lieu n’a donc pas été choisi au hasard. Il fallait que cette belle maison centenaire, située au cœur du village sur la rue Principale, puisse contenir tous les pans de ce projet ambitieux: l’immense jardin à l’arrière permet ainsi de composer les menus avec des ingrédients ultralocaux, récoltés le matin même durant la belle saison. Le couple s’épanouit dans la diversité, et c’est dans la combinaison des volets café, restaurant et tenue d’événements que leur entreprise prend tout son sens. Même si cela signifie devoir consacrer une centaine d’heures par semaine chacun à leur projet, étant les deux seuls maîtres à bord. «C’est ce qui permet de faire ce qu’on fait: ça réduit beaucoup le risque, ne pas avoir de payroll. C’est un peu ça la base du modèle.»

Cette façon de faire des affaires est plutôt répandue dans la région: «Même les commerces établis depuis 30 ans, ce sont tous des opérateurs-propriétaires, expose Ludovic. Ça fait des business avec de l’âme, parce que tu rentres tout le temps chez quelqu’un.» Comme la région ne possède pas un bassin démographique assez important pour faire vivre de grandes chaînes et que peu d’emplois sont disponibles, les gens qui choisissent la région pour s’y établir doivent souvent créer leur propre emploi. «C’est ce qui fait qu’il y a une belle synergie entre les commerces, parce que tout le monde sait qu’il faut se tenir. Le monde amène le monde: il y a un beau dialogue entre les gens par rapport à ça.»

Bière et betterave

Un projet n’attend pas l’autre au Beat & Betterave. Après la venue d’un petit garçon l’année dernière, le couple s’attelle à un nouveau grand projet: la production de bière. L’idée n’est pas d’empiéter sur les activités de Dunham, «un pionnier mondial de la bière créative», ou même de la Sutton Brouërie, «des maîtres brasseurs top», mais d’investir jusqu’au bout l’idée d’autarcie en produisant la majorité des produits vendus sur place. Lorsque je demande à Ludovic s’il compte intégrer la betterave à l’une de ses bières, son rire résonne comme une confirmation. «Ça, c’est sûr! 100% des personnes à qui j’ai dit que j’allais faire ce projet-là m’ont parlé d’une bière à la betterave, donc je n’aurai pas le choix!»

 

L’offre sera principalement composée de bières tchèques, des brassins qui prennent du temps à produire, mais pour lesquelles le propriétaire a eu un coup de cœur lors de séjours en Europe de l’Est. Et question d’être autonome jusqu’au bout, le houblon pourrait s’ajouter aux nombreuses cultures du grand jardin à l’arrière de la maison.

D’ici la fin 2019, il y aura donc une raison supplémentaire de faire la route jusqu’au Beat & Betterave.

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