Hélène Martin raconte : « Les éleveurs nous ont dit que plus personne ne travaille la laine au Québec. Ils n’ont pas d’acheteurs. On trouvait ça épouvantable, surtout quand on sait que beaucoup des vêtements qu’on porte sont fabriqués en Chine. On a une ressource ici qui n’est même pas utilisée et qui finit à la poubelle.» Il n’en faut pas plus pour que son conjoint et elle se lancent dans un projet de récupération de toute cette matière première : « On a commencé dans notre cuisine. On lavait la laine, on la cardait [la démêler], puis on la faisait filer dans une filature. Ensuite, on en tricotait des bas, des écharpes, des tuques… », se souvient Hélène, qui à l’époque utilisait même un rouet.
Pour le couple, récupérer la laine d’ici donne encore plus de sens au travail des éleveurs pour qui rien n’est perdu dans leur produit. Si Hélène et Yvan tombent en amour avec cette matière, ce n’est pas par hasard : lui a longtemps travaillé dans une grosse entreprise de textile et elle était dans les métiers d’art, plus particulièrement dans la confection de pantoufles de mouton. Aujourd’hui, ils revendiquent qu’ils font un travail d’artisan. Huit ans après l’ouverture de sa première boutique à Baie-Saint-Paul, le couple est fier de dire qu’il récupère une « matière précieuse, surtout dans un pays de grand froid ». La laine est une matière chaude et respirante, antimicrobienne et antiodeur.
Tendance tricot
Ils ont dû la vanter assez bien pour que les clients la préfèrent aux produits fabriqués en Chine et vendus à un coût bien moindre. « Les consommateurs veulent de plus en plus acheter quelque chose d’authentique, de vrai, d’écologique et de local. Tu peux pas compétitionner avec une fibre synthétique. C’est sûr que nos prix sont plus élevés, pourtant, d’année en année, notre production augmente toujours », assure Hélène. Le couple mise sur la transparence pour sortir du lot et permet aux clients de voir comment les petites mains travaillent en atelier. « Quand tu achètes une tuque après avoir vu quelqu’un en train de la tricoter, ça prend tout de suite une autre dimension. »
L’entreprise bénéficie aussi de l’engouement pour le tricot : beaucoup viennent à la boutique pour simplement ramener dans leurs valises une pelote de laine du Québec et l’offrir à leur copine amoureuse du tricot. Le couple s’impose un processus de qualité qui justifie le coût de leurs produits – un peu plus de 20 $ la paire de bas. Comme à leurs débuts, ils récupèrent la laine chez les éleveurs de la région de Charlevoix, mais désormais aussi d’ailleurs au Québec. Yvan se déplace même pour la sélectionner attentivement : « Mon conjoint et mon gendre sont même présents lors de la tonte », assure Hélène.
Les plus belles parties sont choisies pour être tricotées, les moins belles pour en faire des feutres. La matière est ensuite lavée dans de grands bassins d’eau chaude. « C’est un long processus, car la laine est très fragile. Il ne faut pas la brasser trop vite et on doit utiliser du savon sans sulfate », précise la copropriétaire. Et si la laine d’Hélène et Yvan n’est pas immaculée, c’est justement parce qu’elle n’est pas blanchie à l’acide sulfurique, qui agresse la laine et la rend justement irritante. « Nous utilisons aussi beaucoup la laine d’agneau, qui est plus douce », ajoute Hélène.
Un économusée sur la laine
La laine est ensuite cardée, puis filée dans une filature d’ici. Elle est ensuite tricotée ou feutrée. « Pour feutrer la laine, le processus est différent. Il faut au contraire l’agiter violemment pour qu’elle finisse par se densifier », explique Hélène. C’est sa fille Valérie qui a développé les produits en feutre de la boutique, comme des semelles ou des chapeaux, des savons feutrés ou encore des balles pour la sécheuse. Elles sont une alternative aux feuilles d’assouplisseur qui enduisent les fibres des tissus de produits chimiques qui s’accumulent au fil du temps.
Pour Yvan et Hélène, Valérie représente la relève avec son mari. « Dans les cinq prochaines années, nous allons peu à peu faire le transfert », précise Hélène, qui ne cache pas sa fierté de réussir à garder l’entreprise dans le giron familial. Autre plan d’avenir, l’installation d’un économusée pour continuer à faire connaître la laine du Québec, mais pas question de grossir davantage. « Nous voulons rester petits, c’est pour ça que nous n’avons que deux boutiques et que nous avons fait le choix de ne pas être distribués dans plein de points de vente. Les gens, lorsqu’ils achètent du local, veulent aussi que ce soit un peu unique, et aller dans des boutiques qu’on ne trouve pas partout… »