La librairie la plus cool de l’univers! Vous avez bien lu, oui. Ce n’est pas nous qui le déclarons, mais Léo, 11 ans, un fidèle de la librairie Le Repère de Granby. Sa cofondatrice, Karine Cotnoir, rapporte tout sourire les propos du gamin, qui laisse rarement voler une semaine sans trimballer sa curiosité jusque dans cette boutique qui tient sans doute aussi beaucoup pour lui de repaire (avec un a et un i). Évidence dans les yeux de la jeune femme: c’est pour des garçons comme lui, pour leur enthousiasme, qu’elle se lançait dans l’aventure périlleuse d’une librairie.
Premières lectures. 5 à 11 ans. 8 à 11 ans. 10 ans et plus. 12 ans et plus. Manga. Voyez-vous les petits panneaux écrits à la craie, suspendus au-dessus des vastes rayonnages blancs, abritant plus de 6000 (6000!) titres différents? Bienvenue dans la seule librairie jeunesse (hors Montréal) au Québec, le refuge de tous ceux et celles qui, malgré la tendresse de leur âge, pensent déjà que l’on trouve autant d’oxygène dans une pièce débordant de romans, d’albums et de bédés que dans un parc rempli d’arbres.
Il était une fois la maman d’un mignon petit garçon et d’une mignonne petite fille qui n’en pouvait plus d’être mal accueillie lors de ses virées chez le libraire local. La bonne volonté d’une mère souhaitant que ses enfants tombent sous le charme de la lecture se heurtait trop souvent à des préposés nonchalants, insouciants et tristement démunis face à un bambin à la recherche de son prochain coup de cœur. «J’ai texté Karine en lui racontant une visite particulièrement pénible et en lui demandant: “Pourquoi on n’ouvre pas une librairie, nous deux?”», se souvient Virginia Houle.
On n’est jamais si bien servi que par soi-même? Le duo allait très bientôt éprouver la véracité de ce proverbe. Pour l’amour du risque? Virginia rigole. C’est que les amies ont toutes les deux œuvré auprès d’organismes d’aide aux jeunes entrepreneurs. Se lancer dans le vide sans réfléchir? Pas tellement leur genre.
Leur plan d’affaires repose donc évidemment sur une gestion serrée, mais il témoigne surtout – c’est l’essentiel – d’une conception de la lecture basée sur le plaisir. Un plaisir dont il serait triste de se passer. La lecture n’est pas au Repère cette proverbiale nourriture essentielle que chante un certain discours (pas complètement mensonger) sur la littérature qui pourrait nous sauver de nous-mêmes. Les livres, au Repère, c’est juste le fun. Et c’est déjà beaucoup.
Une visite du ministre?
Suggestion doucement insolente: il faudrait vraiment que le ministre de l’Éducation rende visite à la librairie ayant pignon sur la rue Principale à Granby. Il y trouverait sans doute des réponses fécondes aux nombreux points d’interrogation assaillant quiconque tente de convaincre des enfants et des ados que lire est autre chose que l’activité la plus ringarde au monde.
La librairie la plus cool de l’univers: Léo ne s’exclamerait pas ainsi si ce n’était de ce lumineux espace dans lequel il fait bon bouger et de cette atmosphère invitant à laisser libre cours à son euphorie lorsque le bon livre atterrit entre nos mains. S’asseoir par terre? Aucun problème au Repère. Courir? Allez donc, pour peu, chers amis, que vous ne fassiez pas tomber (trop) de livres. Les étagères y sont de toute façon bien fixées afin que le bébé qui apprend à marcher puisse s’y agripper sans que l’ensemble de l’œuvre volumineuse d’Élise Gravel s’effondre sur le doux duvet de son coco.
Accrochés au mur, à côté du comptoir-caisse: une série de petits billets blancs «Je te recommande», sur lesquels des lecteurs et des lectrices partagent leurs touchants émois littéraires, que l’on reçoit comme autant d’antidotes au cynisme. Marilou, 11 ans, au sujet de Confessions d’un ami imaginaire de Mireille Cuevas: «Ça parle d’un ami imaginaire et j’aime beaucoup imaginer des choses.» Lili-Simone, 9 ans, au sujet de Bine, tome 1: L’affaire est pet shop: «C’est très drôle et c’est écrit en langage parlé.» Zoé, 11 ans, au sujet de La vie compliquée de Léa Olivier de Catherine Girard-Audet: «Léa traverse une partie difficile de sa vie, elle vient de déménager et elle se fait plein d’amis.»
Des conseils pour les parents qui rêvent que leur progéniture passe plus de temps avec un livre sous le nez, plutôt que le visage engouffré dans l’écran rétroéclairé de leur vital bidule préféré? «Il faut juste écouter ce que les enfants ont à dire», suggère Karine. «Il y a souvent des parents qui entrent ici parce que leurs enfants les ont traînés de force et tout ce qu’ils trouvent à dire, c’est: “Je ne comprends pas pourquoi mon fils ou ma fille aime à ce point les livres, moi, ça m’ennuie profondément.” Et ça me choque à chaque fois, parce que notre attitude, en tant que parent, finit toujours par déteindre sur nos enfants.»
C’est en fait l’histoire éternelle de la proximité, de sa chaleur, et de son irrésistible charme que raconte l’existence de la librairie Le Repère. Écrivons-le sans modération: qu’une librairie s’adressant presque strictement à la jeunesse (un présentoir recèle un choix judicieux de romans pour vieilles personnes) se dresse au centre-ville de Granby est un petit miracle, dans un contexte où bien des villes de taille semblable ne comptent même pas sur une librairie indépendante généraliste.
Les grandes bannières du livre (et du pullulant cossin), elles vous font la vie dure? demande-t-on à nos hôtes. Confidence: le scribe espère alors un fiévreux éloge de l’achat local, doublé d’une défense de l’apport précieux des librairies indépendantes à l’écosystème fragile du livre québécois.
Karine et Virginia ne sont bien sûr pas pantoute contre ces nobles idées, mais leur réponse se déploie davantage dans le registre du pragmatisme. Et d’une sorte de petit triomphe, humble mais indéniable, de tout ce qui oppose au commerce sans visage l’entre quatre yeux d’une réelle rencontre. «Pour être franche, ce n’est pas rare que des clients débarquent ici en nous disant qu’ils sont allés dans une grande bannière avant et qu’on leur a suggéré de venir nous voir ici à la place.»