Au pays du granit

Culminant à 820 mètres, le sommet du morne de Saint-Sébastien offre un panorama typique des Appalaches, avec ses petits villages disséminés ici et là entre monts, lacs et vallées. En observant bien, on peut distinguer les empreintes laissées par les carrières de granit qui ont façonné la région. Bienvenue dans la MRC du Granit !

Le granit gris Saint-Sébastien est intimement lié à la culture et au patrimoine québécois : les pierres extraites dans les carrières de ce village situé aux confins des Cantons-de-l’Est — il se trouve à une soixantaine de kilomètres de la frontière avec le Maine et à moins de 30 minutes de Lac-Mégantic — ont notamment servi à l’édification de la basilique Saint-Anne-de-Beaupré, en 1923 et, à la même époque, de l’oratoire Saint-Joseph de Montréal. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout !

Plus récemment, dans les années 1990, on a utilisé du gris Saint-Sébastien pour recouvrir la façade d’un des gratte-ciel les plus emblématiques de la métropole, le 1000, de la Gauchetière. « C’était un des plus gros projets que mon père a décrochés, se souvient Jean-François Bussière, dont la famille travaille le granit depuis quatre générations. Je le revois avec ses rouleaux de plans sur son bureau… ça m’impressionnait à l’époque et ça m’impressionne encore de savoir que nous, qui venions de la campagne, réalisions des projets dans de grandes villes comme Montréal, Toronto et même New York. »

Jean-François n’a pas exactement repris les rênes de l’affaire familiale. Aujourd’hui, il est plutôt à la tête d’une toute nouvelle microentreprise de fabrication de meubles et d’objets en pierre naturelle, Atelier Bussière, située tout près d’anciennes carrières. Ici, dans son local de la petite municipalité de Lac-Drolet, où il emploie deux artisans, on se trouve au cœur de la région du granit.

Retour aux sources

Pour cet entrepreneur en série, c’est un vrai « retour aux sources ». Après avoir étudié à Québec, puis avoir goûté à l’univers de la restauration dans la Vieille Capitale, il a choisi de revenir dans la région qui l’a vu grandir pour mettre à profit sa créativité. « J’ai toujours eu un petit côté artiste, avoue l’homme de 40 ans. Tout ce qui est design et architecture, ça m’a toujours interpellé. »

Petit à petit, Atelier Bussière se fait un nom grâce à ses pièces réalisées à partir de granit ou de marbre d’ici et d’ailleurs, généralement : sous-verre, plateaux de service, horloges, mais aussi tables d’appoint ou meubles sur mesure. Jean-François collabore avec le grand détaillant canadien EQ3 et la designer textile Amulette, pour ne mentionner que ceux-là. On trouve ses produits à la boutique Maison Pepin, dans le Vieux-Montréal. Il fabrique également des composantes pour des luminaires, par exemple ceux de Lambert & fils — une marque d’ici qui rayonne à l’international — ou de Tungstène. « Ce que je fais est assez niché », avoue-t-il, ajoutant que peu d’entreprises se sont spécialisées dans ce créneau bien précis.

Et le gris Saint-Sébastien dans tout ça ? Très peu pour lui ! « De nos jours, on l’utilise encore, mais surtout pour faire des pierres tombales ou d’autres monuments du genre, dit-il. C’est une pierre qui n’est vraiment pas tendance pour le design d’intérieur. » Victime de son héritage religieux, pourrait-on penser.

Célébrer le granit

Belvédère de la Maison du granit, photo Claude Grenier

N’empêche, la valeur patrimoniale de ce granit unique au gris moucheté de beige est inestimable. Pas étonnant que la région se soit dotée d’une Maison du granit. Installée dans une carrière désaffectée, elle est le point de départ de sentiers menant au sommet du morne. Le musée, qui vient de célébrer ses 30 ans, propose en outre une exposition — fort bien conçue, au demeurant — retraçant l’histoire de l’industrie.

« Il faut faire preuve d’ingéniosité pour attirer les touristes chez nous, admet Jean-François Bussière, par ailleurs vice-président du conseil d’administration de l’endroit. On essaie de lui donner une nouvelle énergie en mettant l’accent sur le plein air. »

L’entrepreneur est peut-être revenu dans la région « un peu par accident », mais il n’a aucun regret. « Je suis bien ici. C’est la nature, les lacs, les montagnes. C’est pas de stress, énumère-t-il. Je suis vraiment sur mon X. »

Et même si, pour le moment, il n’emploie pas le granit de son coin de pays dans ses créations, Jean-François ne fait pas une croix sur les pierres québécoises pour autant. « C’est sûr que j’essaie d’utiliser des pierres locales le plus possible », nuance-t-il. Les plus populaires actuellement dans sa collection d’objets décoratifs ? Les granits noir Cambrian et brun Kodiak, répond le spécialiste, deux variétés plutôt foncées qui proviennent de municipalités peu plus au nord, plus précisément de Saint-Nazaire et de Chute-des-Passes, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Peut-être nos prochaines destinations, qui sait ?

photo Claude Grenier

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