Il y a les vallées encaissées, les crêtes boréales et les plateaux arables : costauds dénivelés et pentes douces partagent en alternance la tête du tracé. C’est tout dire sur l’éclectisme du territoire gaspésien, et donc de l’itinéraire élaboré par l’organisation, échafaudage monté annuellement sans jamais craindre la redondance. « C’est un grand pays, la Gaspésie ! », lance, toujours saisie par cette immensité, Claudine Roy, l’instigatrice des célèbres Traversées de la Gaspésie (TDLG).
Les événements désormais semi-annuels (depuis 2014, un circuit automnal se greffe à la glisse d’hiver) permettent aux férus de plein air d’arpenter la topographie gaspésienne le moment d’un parcours dont la teneur brouille le kilométrage et la durée. Éloignés des diktats du quotidien, les baroudeurs à bottine et à ski touchent à quelque chose qui fait fi du temps. « Oui, les grandes traversées sont des épreuves physiques, mais ce sont avant tout des événements au cœur de l’humain, philosophe la grande manitou des Traversées, qui en auraient été à leur 26e mouture si ce n’avait été de la pandémie. Les gens viennent pour se rencontrer : d’abord eux-mêmes, parce qu’il y a quand même des grands moments de solitude, puis les autres humains ».
Pour la Gaspésie…
Depuis toujours, Claudine Roy fait du relief une terre à pétrir des empreintes de la marche, à graver des encoches du ski de fond. En 1984, accompagnée de fondeurs tout aussi passionnés, elle traverse le Québec et organise une expédition sur la Basse-Côte-Nord à l’image de ce que deviendra la TDLG. L’hiver, l’énergique Gaspésienne invite régulièrement des amis à skier son coin de pays. Et puis, elle ouvre le bien connu resto-bar le Brise-Bise, à Gaspé, et donne naissance à son fils Clovis. Le temps file, la fondeuse se retire des pistes quelque temps. Jusqu’à l’un de ces jours de tous les possibles. « Un bon matin, je me suis levée et je me suis dit que ça serait le fun de faire quelque chose pour la Gaspésie l’hiver, pour amener le tourisme hivernal », raconte celle qui en plus des grandes traversées, est à la tête d’une auberge champêtre au centre de Gaspé. Du jeu cumulé du ski de fond et du développement de la région naîtra la TDLG, en 2002.
…Par la Gaspésie
Certes, les grandes traversées brillent au-delà de la frontière (les quotidiens Le Monde et The New York Times en ont fait l’éloge dans leurs pages), une lumière qui réverbère sur toute la Gaspésie, actuellement exposée comme jamais. Claudine Roy s’en enorgueillit, de bon droit, elle qui a vu les années difficiles de la région au tournant du millénaire. « Si on se reporte de 18 ans, l’image de la Gaspésie n’était pas aussi positive qu’aujourd’hui, admet la femme native de Pointe-à-la-Frégate, village accroché au flanc nord de la péninsule. Mais j’ai toujours été une défenderesse de ce pays qu’est la Gaspésie ».
Le redressement de la région repose certainement sur des initiatives telles la TDLG, des projets dont l’existence dépend de l’apport de ces gens imprégnés du territoire, ces Gaspésiennes et Gaspésiens dont l’abnégation et la générosité teintent toute entreprise. « Les Gaspésiens sont extraordinaires !, clame la femme d’affaires très impliquée dans sa communauté. On est reçus dans les villages avec énormément de générosité, les gens peuvent donner leur chemise. L’hiver, les motoneigistes viennent participer à l’organisation avec leurs propres bolides, certains prennent même du temps de vacances pour nous aider », enchaîne-t-elle, empreinte de reconnaissance. Bon an mal an, c’est une cinquantaine de bénévoles qui veille au bon déroulement des randonnées, pendant et entre les étapes.
Communion humaine
Si les Traversées ne sont pas exactement des expéditions extrêmes, il faut tout de même compter quelques pas sauvages au compteur avant de s’aventurer en contrée gaspésienne. L’automne, les randonneurs se mettent de 15 à 20 kilomètres sous le pied quotidiennement. L’hiver, les fondeurs en cumulent une trentaine (les raquetteurs moitié moins), parfois sous le poids de conditions difficiles : froids pénétrants, bourrasques soudaines et glaces dérobées sont autant d’obstacles sur le chemin du logis, point de chute où souffleront les randonneurs avant de repartir de plus belle l’aube venue. À première vue individuelles, les grandes traversées sont tout autant des expériences collectives. « Mon but, c’est d’amener tout le monde à une communion humaine, expose Claudine Roy. Les gens, quand ils arrivent, ils ne savent pas trop dans quoi ils embarquent. Ils avancent avec une certaine insécurité, puis, au bout de la semaine, ils sont capables de se prendre dans leurs bras, de rigoler, de pleurer ! Pour moi, ce sont les plus grands moments des Traversées ».