Daniel Bellerose a une bonne bouille qu’on n’oublie pas. C’est un grand gaillard, avec une voix radiophonique. Après un voyage express à Radisson au printemps 2018, lors duquel j’ai visité en groupe les installations d’Hydro-Québec, son caractère extraverti et la facilité avec laquelle il nous hypnotisait quand il nous racontait ses histoires de bâtisseurs de la Baie-James m’avaient marquée. Il nous avait guidés, un par un, dans une petite embarcation, pour aller découvrir le parc Robert-A.-Boyd, où se trouvait une reconstitution d’un campement d’exploration. Le but était de nous faire comprendre les conditions dans lesquelles vivaient les premiers défricheurs du projet d’hydroélectricité. Deux ans plus tard, je donne un coup de fil à Daniel Bellerose, qui me révèle que ce projet d’hommage et de transmission était vraiment son bébé.
« Ç’a commencé autour de 1996, explique-t-il. J’ai mis mon idée sur papier, en construisant un ancien camp au pied de la rivière Mosquito. On a reconstruit ça avec des étudiants. C’était mon rêve. Pour moi, ça représente le côté humain de la construction de la Baie-James. Je voulais sortir de l’anonymat les bâtisseurs d’eau. On a réussi à mettre en place un monument de 100 000 noms sur les 185 000 personnes qui sont venues travailler à la Baie-James entre 1950 et aujourd’hui. »
Malheureusement, depuis 2018, les visites ont cessé au parc Robert-A.-Boyd, en raison d’une forte baisse du tourisme dans son coin de pays. Daniel estime qu’il y a aujourd’hui moins de 3000 visiteurs par année, comparativement à 8000 environ au milieu des années 2000. Toutefois, il nous informe que son monument pourrait être déplacé de l’autre côté de la rivière, en 2021, pour le rendre accessible à tous les curieux.
Monsieur Défis
« Je carbure aux projets et aux défis », me dit-il en discutant de son intéressant parcours qui l’a mené à faire sa vie à la Baie-James. L’année où Montréal accueillait les Jeux olympiques, Daniel Bellerose évoluait justement dans le monde du sport, à Trois-Rivières. « En 1976, je venais de gagner un championnat canadien de water-polo. J’étais impliqué dans les activités sportives pour la Ville, à l’époque. À un moment donné, le téléphone a sonné et on m’a proposé d’aller à la Baie-James. C’est drôle, parce qu’en 1976, je savais même pas c’était où ! J’ai dit oui, et je suis devenu animateur aux loisirs. »
Au milieu des années 1980, il devient directeur des loisirs de la municipalité de Baie-James. En montant les échelons, Daniel Bellerose réalise un premier rêve, celui d’organiser une finale des Jeux du Québec centralisée à Radisson. En 1991, il réussit le pari d’accueillir la région Abitibi-Témiscamingue (qui inclut la Baie-James dans les Jeux du Québec) chez lui. On sent encore toute la fierté dans sa voix. « Pendant deux week-ends, on avait des athlètes de quinze disciplines ici logés dans des familles de Radisson. Dans ma carrière en loisirs, ç’a été le plus gros défi que j’ai eu à réaliser. » Trois ans plus tard, il ouvre avec sa conjointe, Mado, la boutique d’art amérindien et inuit Arts et Trésors inouïs à Radisson. Une autre grande fierté pour lui.
À la table des grands
Quand on connaît la richesse de son parcours, on n’est pas surpris que Daniel Bellerose soit devenu, au fil des décennies, le président de la localité de Radisson. « Localité » puisqu’elle n’a pas de statut de ville. « À l’époque des grands travaux hydroélectriques, le gouvernement du Québec a créé la municipalité de la Baie-James. Radisson y était intégrée, jusqu’à ce que la municipalité rende l’âme, en 2014, à la création du nouveau gouvernement régional Eeyou Istchee Baie-James. » Radisson est aujourd’hui une localité de la municipalité d’Eeyou Istchee Baie-James, explique-t-il.
Alors que les communautés autochtones de la région n’étaient pas incluses dans l’ancienne municipalité de Baie-James, elles sont bien présentes, depuis 2014, dans ce gouvernement régional. « Aujourd’hui, autour de la table, il y a 11 représentants des communautés cries du territoire et 11 conseillers et maires des villes et villages de la Jamésie, précise-t-il. Ce qui est unique, c’est qu’on se retrouve, blancs et autochtones, à tenter d’avoir une vision commune et travailler des dossiers de fond pour le développement du territoire. C’est un gros défi parce que tous les coins du territoire ne pensent pas tous de la même manière et n’ont pas les mêmes enjeux. »
Et à l’intérieur même de Radisson, le président de la localité compose avec des gens aux réalités bien différentes. « Je dis souvent qu’il y a trois solitudes ici : les Cris, les travailleurs d’Hydro-Québec et les résidents de Radisson. Avec leur horaire chargé, les gens d’Hydro-Québec ne peuvent pas faire des activités avec les gens de Radisson… Et puis les Cris sont à 100 kilomètres de chez nous. On tente d’avoir des activités communes ou des rapprochements, mais c’est difficile dans les circonstances. »
Un territoire de possibilités
Comme Radisson a toujours vécu en fonction des projets hydroélectriques, la localité est dans une situation unique mais déstabilisante. « En 1976, il fallait que la Société du développement de la Baie-James tienne des infrastructures de loisirs pour que les gens viennent s’établir ici, se remémore Daniel. Pente de ski alpin, curling, piscine, aréna… on était équipés comme des villes de 30 000 personnes. Pourtant, à l’époque, il y avait plus ou moins 700 familles et environ 5000 travailleurs, au plus fort. Quand les travaux hydroélectriques se sont terminés, la population a baissé. Puisqu’il n’y avait plus de payeurs pour maintenir les infrastructures, on les a perdues. »
Daniel Bellerose souhaite que le gouvernement travaille à améliorer et à adapter des mesures pour que les jeunes familles et les travailleurs s’installent de façon permanente dans les régions éloignées. « Il faut des incitatifs pour que ce soit attrayant. Au-delà du coup de cœur pour le territoire, des aurores boréales et des caribous, les gens vont s’installer ici s’ils ont un emploi et des services de qualité. Ensuite, soyons honnêtes, pour des parents de jeunes enfants, c’est un endroit idéal pour le développement, parce qu’ils ont du temps de qualité, l’air est pur et il n’y a pas de bouchons de circulation. »
Daniel Bellerose, qui a fait sa vie à Radisson, reste réaliste, mais il est à la fois nostalgique et confiant pour sa localité. Son parcours et sa détermination devraient en inciter plus d’un à mettre le cap sur le Nord. « Tout était devant moi quand je suis arrivé à Radisson. Quand tu as des infrastructures et que tu grandis à travers les défis, tu décides de t’établir ici et de dire : “tout est à faire”. On a le plus beau terrain de jeu qui existe dans la province, parce que c’est à ciel ouvert. Si vous avez une bonne idée et que vous y croyez, c’est réalisable, en y mettant les efforts. »